« In our vanity, we confuse non-appearance with non-existence. »
[Dans notre vanité, nous confondons la non-apparence avec la non-existence.]
Essai sur le fonctionnement de la mémoire réelle et artificielle, ce moyen métrage juxtapose des images provenant de publicités Web et de Google Street View à celles tournées par la cinéaste.
Cloud gate 2 est un essai fascinant qui mélange des images de provenances variées afin de créer un tour d’horizon de ce qu’est la mémoire individuelle et collective. Il s’agit d’une œuvre documentaire qui questionne aussi notre rapport à la mémoire.
La première question que pose la réalisatrice dans Cloud Gate 2 consiste à comprendre ce qu’est la mémoire. Le film se présente ainsi comme une lettre qu’elle écrit pour sa défunte grand-mère. Elle cherche à comprendre pourquoi elle se souvient de sa voie, mais pas de celle de son grand-père. De là, elle questionne nos moyens de se souvenir des êtres chers, mais aussi des lieux et événements qui sont apparus dans notre vie au fil du temps.
La réalisatrice nous amène tout d’abord en Californie, avant de monter vers le nord pour s’arrêter à Chicago. C’est d’ailleurs là que le titre du film prend toute sa signification, dans une séquence d’une grande beauté, comme on en voit rarement en documentaire. Une séquence qui, après avoir vu la première partie du film, laisse le spectateur pensif quant à l’idée même de la mémoire, et surtout de ce qu’on en fait numériquement.
Au cœur de sa réflexion sur la mémoire, il y a les grandes entreprises numériques, Google et Apple en tête. Au début du film, il y a une séquence qui montre les images de lieux états-uniens utilisées par Apple pour ses logiciels iOS, ainsi que les noms qui venaient avec.
Puis, on se dirige vers le nœud de cette mémoire numérique : Google. Le géant californien est constamment dans la nécessité d’adapter sa gestion des données, ou comme on pourrait dire, la gestion de nos souvenirs, de notre mémoire individuelle et collective. Une des portions les plus intéressantes du documentaire est cette visite (via des vidéos trouvées sur YouTube) du centre de sécurité de Google. C’est assez incroyable de voir ce lieu dans lequel il n’y a fondamentalement rien de vraiment concret être mieux protégé qu’une base militaire. Je crois que c’est cette visite qui amène le plus de réflexion chez le spectateur. Après tout, après l’Europe en 2021, c’est au tour du Canada de légiférer sur l’utilisation des données numériques individuelles.
Mais revenons aux images que nous offre la réalisatrice. Au début du film, elle utilise sa grand-mère pour illustrer la notion de mémoire physique, versus la mémoire numérique. Sa mémoire réelle se souvient de comment était sa grand-mère avec elle, des discussions et des joies partagées. La mémoire numérique lui a offert toute une surprise lorsqu’elle a réalisé, un jour, que Google avait immortalisé sa grand-maman, sur sa galerie, immobile, mais en plein déplacement. En effet, la femme âgée avait été captée par la fameuse voiture de Google Maps et, ainsi, immortalisée dans la mémoire collective. Ce doit être une étrange sensation que de revoir une personne morte chaque fois qu’on va sur Google Maps et qu’on se promène dans la rue via Street view.
C’est donc ainsi grâce à une judicieuse juxtaposition d’images provenant de publicités Web et de Google Street View additionnées à celles tournées par la cinéaste, que ce documentaire fascinant prend vie. Cette hétérogénéité affirmée est d’une grande cohérence dans ce monde où informations et images surabondantes s’entassent dans un infini nuagique rendu possible par des milliers de serveurs bien réels.
Je disais que le film se terminait à Chicago. La dernière séquence du film se déroule devant la fameuse Cloud Gate de Chicago. Seule œuvre publique de valeur dans la ville des vents — selon Pedersen. Cette partie est d’une étrange beauté tout en étant quelque peu floue. C’est donc devant ce haricot géant à la surface miroir que le spectateur se retrouve face à lui-même et à ce flou numérique qui gère sa mémoire virtuelle et de plus en plus physique.
Une œuvre à ne pas manquer!
Cloud gate 2 est présenté aux RIDM les 18 et 25 novembre 2022.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième