Charlie Trotter - une critique

Love, Charlie : The Rise and Fall of Chef Charlie Trotter – Si c’est pas cassé, casse-le

« I will kill your whole family if you don’t get this right! I need this perfect! »
[Je vais tuer ta famille au complet si tu ne fais pas ça bien! Je veux que ce soit parfait!]

Love Charlie - Affiche

Dans les années 2000, le chef Charlie Trotter était la coqueluche de Chicago et son restaurant éponyme était l’une des meilleures destinations de la planète pour la gastronomie. Révolutionnaire et mauvais garçon culinaire, Trotter a ouvert la voie à des gens comme Anthony Bourdain et Gordon Ramsay, mais sa nature tempétueuse et compétitive en a aliéné plus d’un. Grâce à des documents d’archives inédits et à de nouvelles interviews de ceux qui aimaient et détestaient Trotter — décédé d’un AVC en 2013 à l’âge de 54 ans —, ce portrait passionnant et sans fard relate les passions d’un maitre cuisinier et les conséquences de la recherche de la perfection à tout prix.

Une figure controversée

Love Charlie - Charlie - Une figure controversée
Charlie Trotter

Considérant leur omniprésence dans le paysage culturel d’aujourd’hui, il est facile d’oublier le fait que les chefs de grands restaurants (et leurs pâles imitateurs télévisés) n’ont pas toujours été les superstars que nous connaissons aujourd’hui. Avant Éric Ripert, Marco Pierre White ou Wolfgang Puck (qui a d’ailleurs beaucoup de temps d’écran dans ce documentaire), la gastronomie était surtout réservée à un cercle d’initié.e.s, dont l’accès était surtout gardé par des prix très élevés. S’il ne s’est pas nécessairement retrouvé aussi canonisé que ses contemporains nommés plus haut, Chef Charlie Trotter a cependant certainement contribué à donner l’aura mystique aujourd’hui attribuée aux maitres gastronomiques. Quelque part dans les années 1990, nous avons arrêté, surtout à la télévision, de voir les chefs comme du divertissement à la Martha Stewart, et plus comme des artistes. Dans ce film, il est facile de voir pourquoi : pratiquement chaque fois que Trotter apparait à l’écran, ce dernier est accompagné d’une morale ou d’un discours témoignant d’un caractère particulièrement obsessif. Charlie Trotter ne voulait pas être un simple cuisinier ; il voulait être le meilleur, et le documentaire de la nouvelle venue Rebecca Halpern démontre assez bien vers où peut mener cette constante recherche, presque maladive, de perfection.

Un portrait sobre, mais impartial

Cinématographiquement parlant, Love, Charlie : The Rise and Fall of Chef Charlie Trotter ne se démarque pas particulièrement des autres documentaires biographiques rendus à la mode par des réalisateurs tels que Morgan Neville. La réalisatrice ayant eu accès à des documents inédits, parmi lesquels une quantité impressionnante de cartes postales envoyées à diverses connaissances du chef, elle offre un traitement formel assez classique. Au menu : des entrevues de type « talking heads », avec des connaissances et autres professionnels du milieu, entrecoupées d’images d’archives et d’anciennes entrevues avec le chef disparu en 2013. 

Love Charlie - Emeril Lagasse - Charlie - Norman Van Aken - Un portrait sombre
Emeril Lagasse, Charlie Trotter et Norman Van Aken

Halpern tente cependant de rendre le portrait de l’icône culinaire le plus objectif possible, ce qui n’est pas toujours le cas avec ce type de documentaire. En ce sens, le titre du film est particulièrement révélateur; si la première partie du film se concentre sur le portrait global de Trotter, avec tout ce que ça implique (les éloges, les bons souvenirs et les images alléchantes, sans mauvais jeu de mots), la seconde partie prend plutôt le pari, sans toutefois rabaisser gratuitement Charlie, de montrer l’envers de la médaille (the fall). Pour chaque artiste génialissime du genre, derrière la beauté, l’obsession et l’inspiration se trouve souvent l’égo surdimensionné d’un humain étant prêt à tout pour arriver à ses fins, pour le meilleur et pour le pire. En ce sens, il est rafraichissant de voir que la réalisatrice a aussi décidé d’inclure des images et entrevues témoignant du côté plus sombre du chef, qui n’hésitait pas à insulter et manipuler ses cuisinier, leur rappelant souvent que s’ils ne sont pas prêts à donner tout leur temps et énergie à la restauration, « ils ne sont peut-être pas faits pour ça ».  

Et pour le dessert…

Cette volonté de démontrer le côté sombre de la restauration s’inscrit dans un mouvement plus global amené par la pandémie. Pour ceux et celles n’ayant jamais mis les pieds dans une cuisine, il faut savoir que la culture culinaire en est une excessivement toxique, et ce côté est loin d’être aidé par le renforcement culturel et le pardon des comportements néfastes des célébrités culinaires. Plutôt que de les réprimander, celles-ci sont encouragées : nous n’avons pas à regarder plus loin que le succès d’émissions telles que Hell’s Kitchen, où le montage montre frontalement les abus psychologiques et parfois physiques perpétrés par le chef Gordon Ramsay envers de simples employés de restaurants qu’il ne gouverne même pas, et tout ceci sous une perspective humoristique. En ce sens, la réalisatrice Rebecca Halpern montre un portrait qui, s’il reste relativement convenu en termes de documentaires du genre, fait toutefois un réel effort de montrer une perspective objective et impartiale de la figure controversée qu’était Charlie Trotter, et le résultat en est un qui, s’il n’est pas particulièrement inspirant, en est un profondément rafraichissant.  

Bande-annonce

Fiche technique

Titre original
Love, Charlie : The Rise and Fall of Chef Charlie Trotter
Durée
96 minutes
Année
2021
Pays
États-Unis
Réalisateur
Rebecca Halpern
Scénario
Rebecca Halpern
Note
7 /10

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Fiche technique

Titre original
Love, Charlie : The Rise and Fall of Chef Charlie Trotter
Durée
96 minutes
Année
2021
Pays
États-Unis
Réalisateur
Rebecca Halpern
Scénario
Rebecca Halpern
Note
7 /10

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