« Do you still think it can be done? »
[Penses-tu que ça peut se faire?]
États-Unis. Le pays explose sous les tensions raciales après l’assassinat de Martin Luther King. Romain Gary (Denis Ménochet) et sa femme, Jean Seberg (Kacey Rohl), accueillent chez eux un chien abandonné, dressé exclusivement pour attaquer les Noirs : un Chien blanc. Romain, humaniste et amoureux des animaux, refuse de le faire euthanasier, au risque de mettre en péril l’équilibre de sa relation avec Jean, militante pour les droits civiques et très active au sein des Black Panthers.
C’est dans le contraste entre le laid et le beau, dans l’absence de zone grise, que Chien blanc devient le plus percutant, le plus réaliste.
Après ses films Inch’Allah (2012) et La Déesse des Mouches à feu (2020) ainsi que ses romans Je voudrais qu’on m’efface (2010) et La Femme qui fuit (2015), la preuve du talent et de la sensibilité d’Anais Barbeau-Lavalette ne sont plus à faire. Son dernier long métrage, Chien blanc, demeure une prise de risque audacieuse pour la réalisatrice. Le premier défi vient de l’adaptation, cette histoire étant à l’origine un roman éponyme de Romain Gary, le deuxième, du sujet, le racisme étant toujours une question délicate à traiter, et les autres défis n’ont pas manqué au tournage: plusieurs langues, plusieurs pays de tournage, une distribution internationale, une pandémie…
Après avoir été mise en récit en 1970 par Romain Gary, puis de nouveau dans ce projet par Anaïs Barbeau-Lavalette et Valérie Beaugrand-Champagne, on peut se questionner sur la part de réalité dans ce film. Les points marquants de l’histoire, en commençant avec l’assassinat de Martin Luther King et poursuivant avec des manifestations lourdement réprimées, s’établissent comme une toile de fond factuelle qui prend vie à travers les images d’archives. Ces séquences d’archives, toujours accompagnées de musique, sont souvent troublantes par leur violence, comme la marée de Ku Klux Klan qui inonde le Capitol, mais sont également parfois empreintes d’espoir, d’une énergie de la révolte grandement stimulée par les Black Panthers.
Par contre, on ne demeure pas collés à la réalité historique. Dans sa forme narrative et son esthétique, la réalisatrice s’est réapproprié le message. Le choix d’un message intégrant en partie la culpabilité blanche n’a d’ailleurs rien d’anodin. Ce sentiment de responsabilité, de vouloir agir pour une cause et dénoncer des injustices même si ce n’est pas nous qui les subissons, le personnage de Jean Seberg l’incarne entièrement. C’est dans la mise en abîme de ce sentiment que la réalisatrice parvient à traiter d’un sujet qui ne devrait à priori pas être le sien, en l’occurrence les luttes raciales, mais qui le devient grâce à sa transparence et sa sensibilité.
Le premier bon coup de cette adaptation est le choix des interprètes pour les rôles de Romain Gary et de Jean Seberg. Le premier est interprété par Denis Ménochet, un acteur français dont la corpulence contrastée par une grande sensibilité s’accorde parfaitement à son personnage parfois contradictoire, et la deuxième par Kacey Rohl, une Canadienne dont le charisme magnétique et la lourdeur d’âme surprennent pour une apparence si « pure » et fragile. On peut également retrouver une part de cette contradiction, de cette humanité, dans tous les personnages.
Ce jeu dans la nuance est avant tout permis par la sobriété des dialogues et, souvent, l’absence de ceux-ci. Une des premières règles d’or au cinéma, c’est que les dialogues ne devraient pas être nécessaires au récit, que toutes les informations et les péripéties doivent passer par la mise en scène. Quand elle est bien exécutée, comme c’est le cas pour ce film, les mots ne sont plus nécessaires puisque chaque regard et chaque geste deviennent chargés de sens. Cela laisse également plus de place à l’environnement pour s’exprimer, en l’occurrence, le son de la mer, des quartiers animés et de la forêt. Bien que ce soit un terme galvaudé, souvent utilisé pour décrire quelque chose que l’on ne comprend pas tout à fait, je crois que le mot poétique s’accorde bien à l’approche de la réalisatrice, particulièrement par son attention pour le beau et son emploi du symbolisme.
Ce serait d’ailleurs peut-être un des seuls reproches que je peux adresser à Chien blanc, la surabondance du sublime dans son approche formelle. Beaucoup de tendresse, de nature calme et d’humanité. Peut-être tellement à un certain point tellement qu’ils en deviennent moins saisissants, moins signifiants. J’aurai pris une plus de réalisme et un peu moins de beau. En outre, je comprends le rôle qu’il doit jouer considérant la quantité de laid et du cruel dans cette histoire. C’est dans le contraste entre le laid et le beau, dans l’absence de zone grise, que Chien blanc devient le plus percutant, le plus réaliste.
Chien blanc est présenté à Cinemania, les 2 et 3 novembre 2022.
Bande-annonce
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