« Soit vous menez une vie normale, soit vous devenez actrices et là vous brûlez vos vies. »
Fin des années 80, Stella (Nadia Tereszkiewicz), Étienne (Sofiane Bennacer), Adèle (Clara Bretheau) et toute la troupe ont vingt ans. Ils passent le concours d’entrée de la célèbre école créée par Patrice Chéreau (Louis Garrel) et Pierre Romans (Micha Lescot) au théâtre des Amandiers de Nanterre. Lancés à pleine vitesse dans la vie, la passion, le jeu, l’amour, ensemble ils vont vivre le tournant de leur vie, mais aussi leurs premières grandes tragédies.
Avec Les amandiers, de Valeria Bruni Tedeschi mélange souvenirs de jeunesse de la réalisatrice, et film comico-dramatique qui rappelle le théâtre classique italien. Il s’agit surtout d’un film touchant et absorbant.
Comme pour plusieurs de ses films, Bruni Tedeschi se base sur son vécu pour raconter Les Amandiers. On est quelque part entre l’autobiographie et l’imagination, la recomposition.
Ici, donc, ce sont ses souvenirs, mais aussi ceux des anciens élèves des Amandiers. En effet, pour raconter cette histoire, la réalisatrice et ses partenaires d’écriture ont pris le temps de recontacter et d’interviewer les anciens partenaires d’école de Bruni Tedeschi. Puis ils ont retravaillé, fictionné, mélangé, inventé pour créer un narratif envoûtant.
Les scénaristes ont changé les noms des personnages de l’époque, sauf 2 : Patrice Chéreau et Pierre Romans. Comme ces deux hommes ont été vraiment importants dans la carrière de Bruni Tedeschi, elle voulait, d’une certaine façon, honorer leurs noms et leurs méthodes. Chéreau et Romans sont entrés dans la légende et dans l’inconscient collectif, en France, et elles n’ont pas voulu renoncer à cette légende. Pas plus que de renoncer à l’étrangeté de cette école. « L’école des Amandiers, ce n’était pas le Conservatoire, c’était une école alternative, bizarre, “pas vraiment une école”. Ces deux hommes étaient pour nous comme des dieux de l’Olympe, ils étaient très beaux, très jeunes, très charismatiques. Ils arrivaient dans un couloir et tout le monde se taisait. »
Elle a d’ailleurs incorporé dans son film un voyage que Chéreau leur avait fait faire à l’époque. Un voyage à New York au Théâtre Lee Strasberg.
« La méthode de Strasberg est accueillante, d’une certaine manière douce. La manière de diriger de Chéreau était plus masculine, plus brutale. Mais ils visaient, Chéreau et Strasberg, le même but : la vérité. Il m’est difficile de résumer la manière de diriger de Chéreau, disons qu’il réfléchissait, il pensait, il travaillait beaucoup, beaucoup d’heures… Et il nous demandait, à nous aussi, beaucoup de travail, et de donner beaucoup de nous-mêmes. S’il y a des mots qui résument ce que m’a apporté Patrice, ce sont peut-être les mots “exigence” et “acharnement”. Ces mots m’ont guidée tout au long de ma vie. Ils me guident encore aujourd’hui, et lorsque je m’en éloigne j’ai l’impression de trahir mon métier. »
Valeria Bruni Tedeschi
Mais au-delà de cette belle histoire d’étudiants en théâtre qui se découvrent, Les amandiers est aussi un film qui touche à des thèmes plus lourds…
Les années 80, c’est aussi l’épidémie du SIDA qui faisait rage. La réalisatrice montre bien le mélange d’insouciance de la jeunesse de l’époque et de l’anxiété d’attraper ce terrible virus.
C’est d’ailleurs par l’emploi de ce thème que la réalisatrice réussit à mettre en scène cette incroyable scène qui mélange drame et humour. 3 des filles sont à la salle de bain et commencent à parler de Franck, un des garçons, comme quoi que sa femme vient d’être testé positive. Là, une des filles commence à paniquer, car elle a couché avec Franck. Puis elle panique encore plus lorsqu’elle réalise qu’elle a aussi couché avec deux autres gars de la troupe. Puis, une des autres filles panique à son tour, car elle a, elle aussi, couché avec un de ces deux garçons. Et ensuite avec d’autres… Finalement, cette scène montre à quel point la liberté sexuelle se heurtait à la réalité virale de l’époque.
Et comme ces 12 jeunes se retrouvent dans un groupe tissé serré, des chicanes émergent dues à la jalousie, l’amour, les frustrations…
Ce long métrage est aussi une incursion dans le monde du théâtre. Évidemment, cet univers se situe dans les années 80. Mais ça permet tout de même de comprendre comment peut fonctionner cet univers qui peut sembler si merveilleux et parfait lorsqu’on regarde les galas et les soirées. Mais c’est aussi un milieu qui peut être incroyablement cruel et destructeur.
La phrase que j’ai mise au tout début du texte résume assez bien les choix de vies qu’on vient à faire lorsqu’on se dirige dans une carrière artistique. Ce sont des carrières dans lesquelles la passion est importante. Mais, qui dit passion et plaisir, dit aussi intensité et surcharge de travail.
J’ai envie de terminer sur cette belle phrase de Chéreau qui résume assez bien ce que devrait toujours être la composition de la distribution d’un film ou d’une pièce : « peu importe le temps passé sur scène, le premier ou le second rôle, ce qui compte, c’est le travail ».
Les amandiers est présenté à Cinemania, les 3 et 7 novembre 2022.
Bande-annonce
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