« Ce n’est pas parce que je suis en planque que je n’arrive pas à dormir.
Je suis en planque justement parce que je n’arrive pas à dormir. »
Hae-Joon (Park Hae-il), détective chevronné, enquête sur la mort suspecte d’un homme survenue au sommet d’une montagne. Bientôt, il commence à soupçonner Sore, la femme du défunt, tout en étant déstabilisé par son attirance pour elle. Seo-rae (Tang Wei) ne semble pas du tout ébranlée par la disparition de son mari et son comportement est si surprenant pour une veuve que la police la considère suspecte. Hae-joon interroge Seo-rae. Et tandis qu’il la place sous surveillance et observe ses faits et gestes, il se sent peu à peu attiré par elle. De son côté, l’insondable Seo-rae, bien qu’elle soit soupçonnée de meurtre, se montre audacieuse envers Hae-joon. Une suspecte qui dissimule ses vrais sentiments. Un enquêteur qui soupçonne et désire sa suspecte. Leur décision, à tous les deux, de partir…
À ce point-ci, la réputation de Park Chan-wook n’est plus à faire : l’auteur, qui signe ici sa 11e œuvre, est déjà très populaire en occident depuis Joint Security Area, savant drame militaire qui sut à l’époque se démarquer de la marée de films de guerre de par sa concentration sur le souci humain du quotidien de la chose. Mais évidemment, c’est avec Oldboy que vient sa consécration, film se situant entre drame d’action ultraviolent et thriller psychosexuel : il n’est depuis pas rare que ce film soit l’introduction de beaucoup de jeunes cinéphiles au cinéma sud-coréen (du moins, c’était le cas avant l’explosion du cinéma coréen en occident causée par Parasite de Bong Joon-ho, dont Park Chan-wook est d’ailleurs un bon ami). Après plusieurs bons films tels que Sympathy for Lady Vengeance, des moins bons tels que Stoker et un intérêt renouvelé après l’excellent Handmaiden, le grand auteur revient en force avec Decision to Leave.
Il est difficile de parler de ce film sans trop en divulguer les surprises. Avant tout, Decision to Leave (헤어질 결심) se démarque par une brillante trame narrative qui, si elle commence de manière tout de même convenue, en vient vite à peindre un portrait complexe et multiple qui récompensera les plus attentionnés. Si la première moitié met en scène une classique trame hitchcockienne où un policier suspecte une femme du meurtre de son mari et possède toutes les raisons de croire qu’elle est coupable, mais pas les preuves, la deuxième effectue un important saut dans le temps pour se consacrer à la réelle raison des personnages de se courir après : est-ce un crime d’aimer?
En ce sens, Park Chan-wook dupe habilement le spectateur s’attendant à un genre (thriller) ou à l’autre (drame sentimental), ce qui au passage ne représente rien d’inhabituel pour lui. Par contre, là où ses autres films s’attaquent plus frontalement à un pastiche de genres, puis la déconstruction de ceux-ci, il signe ici d’une certaine manière deux films différents. N’y voyez pas là une critique que les deux moitiés ne se ressemblent pas, au contraire : elles sont à la fois contraires et complémentaires, tout comme ses personnages. Si la première moitié peut paraître méthodique, complexe et somme toute convenue, elle est nécessaire à l’élaboration de la deuxième où les personnages explorent les non-dits et les regrets dans une dangereuse valse, une étourdissante tergiversion pour tenter si bien que mal d’éviter l’inévitable. Si le spectateur ne se prête pas tôt au jeu et attend que « quelque chose » se passe, il manque tout l’important et s’en suit alors une deuxième partie qui semble ne pas avoir sa place dans le film. Pour cette raison, il est probable que Decision to Leave, à la manière de sa trame narrative, divisera les foules, d’un côté les gens frustrés d’un drame qui semble partir dans toutes les directions sans s’engager à rien, et de l’autre des spectateurs qui seront récompensés d’une écoute attentive par un récit qui, s’il ne révolutionne pas le genre, demeure toutefois ingénieux, accrocheur et, lorsqu’on sait ou regarder, doté d’un certain humour noir. Malgré tout, qu’on penche d’un côté ou de l’autre, il sera difficile pour beaucoup de rester de marbre devant la finale dévastatrice que présente sobrement, mais efficacement, Park Chan-wook.
En dehors du film en soi, je me demande surtout comment le film sera reçu par le public en général. Je me plais, non pas sans un peu de condescendance dont je suis pleinement conscient, à constater le « film coréen du siècle (annuel) », en cela que depuis plusieurs années, un drame coréen sort en salle et « révolutionne le cinéma » (aux dires des spectateurs), puis le film en question, sans être oublié, est un peu relégué au second plan quelques mois plus tard. Ce fut par exemple le cas pour Burning, ou plus récemment Parasite. La constante de ces films, et ce que j’imagine qui épate le public, est de mettre en scène un drame sobre, lent et cérébral truffé d’allégories (pas toujours) subtiles, qui mêle habilement les différents genres pour offrir une expérience rassasiante pour le cinéphile en devenir. En ce sens, Park Chan-wook coche toutes les cases, signant une autre fois un drame percutant à la réalisation précise et soignée dont nous sommes venus en droit de nous attendre de sa part. Si, encore une fois, le film divisera probablement les foules, il ne manquera pas de susciter des discussions intéressantes dans les semaines à venir. Juste pour cela, allez le voir avant qu’il soit trop tard et que le prochain drame coréen du siècle sorte : je serai curieux de savoir ce que vous en pensez.
Bande-annonce
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