« Who killed Harold Franks?!? »
[Qui a tué Harold Franks!?!]
Hier soir, j’ai eu le plaisir d’assister à la première internationale du documentaire Lovely Jackson lors de l’ouverture de la 18e édition du Festival International du film black Montréal (FIFBM). Dans la magnifique salle du Cinéma Impérial presque pleine, nous sommes passés, en tant que spectateurs, à travers toute une gamme d’émotions : compte rendu d’une soirée mémorable.
Telle était l’ambition de la fondation Fabienne Colas, créatrice de ce festival, qui propose, du 20 au 25 septembre 2022, une riche programmation. Ainsi, 95 films provenant de 25 pays, selon une formule hybride, peuvent être aussi bien visionnés en salle qu’en ligne. Soulignons que certaines projections sont offertes gratuitement dans les maisons de la culture de Côte-des-Neiges et Montréal-Nord, ainsi qu’à la Maison d’Haïti. Tout ceci s’inscrit dans une volonté affichée de faire rayonner, auprès d’un plus grand nombre, les arts et la culture des communautés noires au Canada. Notons également que lors du défilé protocolaire, mais pas toujours passionnant, des différents partenaires du festival, tous ont souligné l’importance de contribuer à la diversité « des visages et des points de vue » et ainsi de « soutenir l’émergence de narratifs qui méritaient d’avoir une voix ».
Pour les organisateurs, il était inconcevable d’ouvrir le festival avec un autre film que Lovely Jackson tant ce dernier est percutant. Le réalisateur Matt Waldeck nous offre un grand moment de cinéma, car même si tous les dialogues étaient improvisés et que son acteur n’en était pas un, il nous présente le puissant témoignage d’un homme qui nous questionne autant qu’il nous émeut. Remontons dans le temps, à peu près une cinquantaine d’années de cela. En 1975, Rickey Jackson, puisque c’est de lui dont il s’agit, alors âgé de 19 ans, se retrouve emprisonné pour un meurtre qu’il n’a pas commis, sur la seule base du témoignage d’un enfant de 12 ans. Condamné d’abord à la peine capitale, il verra ensuite sa sentence commuée en un emprisonnement perpétuel. Pendant 39 longues années, il ne cessera de clamer son innocence face à un système qui voulait absolument le désigner coupable. C’est grâce à sa ténacité, et à l’aide de l’organisation Ohio Innocence Project, qu’il finira par obtenir un second procès au cours duquel il sera innocenté après quatre décennies d’enfermement.
Dans ce docufiction, le réalisateur ramène Rickey Jackson sur les lieux de sa réclusion. Souvent gagné par une émotion plus que légitime, ce dernier relate les événements de façon chronologique tout en nous partageant l’éventail des émotions qui l’ont parcourues à travers ces années interminables. Waldeck a principalement opté pour une esthétique en noir et blanc montrant aussi bien la dangerosité des milieux dans lequel évoluait le jeune Rickey que l’ampleur du drame qu’il a vécu alors. Le film termine sur les années contemporaines de ce véritable héros qui, comme Joseph, a trouvé la paix, la joie, et la félicité, après toutes ces années de prison. Cette issue pour le film me laisse perplexe, car même si je suis heureux que tout aille mieux pour M. Jackson, à titre personnel, j’aurai préféré que le réalisateur demeure sur l’injustice qui lui a été faite. Rickey Jackson, qui s’est présenté en visio-conférence à la fin du film et ainsi reçu l’ovation qu’il méritait, a choisi de pardonner, et en ressort grandi à titre personnel; toutefois, les sentiments qui prédominent chez moi face à cette histoire, sont de la colère et de l’amertume. Pourquoi est-ce une fois de plus à la victime de faire preuve de noblesse et de beaux sentiments alors que le système judiciaire qui l’avait condamné à mort et qui l’a emprisonné injustement pendant 39 ans ne lui a même pas présenté d’excuses comme Jackson l’a lui-même affirmé lors du Q&A qui a suivi la projection? Pourquoi a-t-il dû attendre trois ans pour être indemnisé? Se rend-on vraiment compte des injustices qu’a subies cet homme?
Face à un système qui doit absolument désigner des coupables, quitte à emprisonner ou exécuter des personnes innocentes, face à ce système qui contribue à accroître la stigmatisation des personnes qu’il marginalise, face à ce système propice à arracher des aveux, mais réticent à reconnaître ses torts et ses failles, pour moi, ce soir, il n’y a pas de pardon.
Lovely Jackson est présenté au FIFBM le 20 septembre 2022.
Bande-annonce
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