« — Je ne peux pas être membre de cette société parce que je suis une sociopathe.
— Je comprends. Je sais que certaines personnes aiment beaucoup tuer et ne peuvent pas vraiment faire autre chose. »
Chisato et Mahiro sont deux adolescentes aux tempéraments diamétralement opposés : la première est enjouée, extravertie, tandis que la seconde est maussade et renfrognée. Toutes deux cherchent un travail à temps partiel, mais, en raison de leur âge, les options sont assez limitées. Caissière dans un magasin? Préparer les repas dans un casse-croûte? Servir les petits fours à de vieilles dames dans un café? Cela n’est pas une question d’argent, puisque Chisato et Mahiro en gagnent déjà beaucoup — ce sont des tueuses à gages sans pitié, et d’une efficacité terrifiante. Mais leur énigmatique employeur a une règle très stricte : dès la fin de leurs études secondaires, ses recrues doivent commencer à élaborer une couverture à toute épreuve, incluant travail, appartement, et colocataire. Ce qui complexifie les choses encore davantage, c’est que nos deux adolescentes ont récemment eu maille à partir avec un chef yakuza sérieusement psychopathe, ainsi que son fils et sa fille qui ne sont guère plus sains d’esprit. Le conflit dégénère, et il va y avoir du sang.
Après plusieurs courts et longs métrages aux thèmes similaires, Yugo Sakamoto nous revient en force avec une proposition hybride qu’il qualifie de « comic-action »; il serait en effet difficile de mieux qualifier le film. Oscillant entre scènes de combat hyperviolentes (et, au passage, magnifiquement chorégraphiées) et humour léger dans des scènes où les deux adolescentes tentent si bien que mal de vivre une vie « normale», il s’agit d’un film qui, s’il n’est cependant pas sans défaut, nous fait passer une heure et demie délirante et amusante. Si, comme mentionné plus haut, les excellentes scènes d’action dont nous en sommes venus à nous attendre dans ce type de film sont au rendez-vous, c’est surtout dans la complicité entre les deux jeunes actrices que le film trouve pied et est intéressant à regarder. À la fois contradictoires et complémentaires, il est excessivement divertissant de voir ces deux individus au caractère contraire collaborer et se chicaner tout le film durant; Chisato est charmante et souriante, alors que sa colocataire Mahiro est plutôt antisociable et impulsive. C’est non seulement dans leur relation que le film pique notre curiosité, mais aussi dans la relation entre les deux amies et le reste de la société, à laquelle elles essaient si fort de s’intégrer. Nommons par exemple une intrigue secondaire où, pendant une énième tentative de se procurer un emploi « normal », les filles appliquent dans un maid café, type d’établissement très populaire au Japon où la clientèle, surtout composée de jeunes hommes dans la vingtaine, vont dans ces cafés pour être servis par des serveuses portant un uniforme de domestique et prenant le rôle d’une bonne. Davantage habituées au meurtre brutal, celles-ci ont de la difficulté à se fondre dans la masse, et en résultent alors des situations très cocasses.
Si les scènes se déroulant au maid café font certainement partie des moments forts du film, ils s’inscrivent de manière plus générale dans une forme narrative assez particulière que le film prend. Commençant en force en établissant de manière ludique et violente l’occupation principale de nos deux assassines, le film prend vite une tournure coming of age, où les scènes subséquentes se concentrent sur les aventures plus banales de la vie quotidienne des adolescentes, et où leur « métier » est davantage relégué au second plan, servant d’excuse pour démontrer à quel point les deux personnages sociopathes ont de la difficulté à s’intégrer à la société. En ce sens, le film leurre un peu le spectateur; nous faisant d’abord croire qu’il s’agira d’un film d’action (comprenez-moi bien, l’action est bel et bien au rendez-vous, seulement de manière plus anecdotique), nous comprenons vite qu’il s’agit davantage d’un récit d’adolescence, où leur métier n’est qu’une métaphore pour le sentiment d’aliénation que certains jeunes ont à l’aube de l’âge adulte ainsi qu’une réflexion sur la banalisation de l’hyperviolence dans notre monde moderne (et ce, surtout au Japon). Si ce côté peut rebuter certains spectateurs s’attendant avant tout à de l’action pure et dure, il est intéressant de constater une certaine variation sur un sujet connu, et bien que le film aurait tout de même été bon, ou au moins divertissant, sans cette exploration « humaine » demeure un ajout bienvenu.
Si tous ces côtés donnent au film un angle et une saveur intéressante, elles ne font pas d’ombre aux scènes plus violentes, celles d’assassinat et de combat. À côté des drames quotidiens, leur seul défaut, qui n’en est pas réellement un, c’est qu’elles ne sont pas assez nombreuses. Comme mentionnées ci-haut, celles-ci sont si bien chorégraphiées qu’une fois le film finit (et quelle finale explosive), nous en voulons plus! Il est aussi très rafraîchissant de voir Saori Izawa (qui joue le personnage de Mahiro), actrice qui est à la base cascadeuse, se battre de manière convaincante, rappelant au passage les vieilles comédies de Jackie Chan, sans entrer dans la mode de montage résolument moderne de couper à chaque coup de poing avec des plans chambranlants pour donner l’illusion d’action.
En somme, si vous entrez dans cet univers sans nécessairement vous attendre à un film d’action classique, mais contenant tout de même une forme narrative particulière et des personnages drôles et intéressants, vous ne serez pas déçu!
Baby Assassins était présenté au festival Fantasia le 16 août 2022 et arrive maintenant en VOD.
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