« This is 17 North Parade. »
[17 North Parade, c’est ici.]
Dans son documentaire Studio 17: The Lost Reggae Tapes, Mark James brosse un portrait de Kingston, de l’indépendance en 1962 à nos jours, au rythme des disques de Randy’s Record et de son fameux Studio 17 où furent enregistrés certaines des plus grandes chansons de l’histoire du reggae. Pendant près d’une heure et demie, nous suivons l’évolution d’un des genres musicaux les plus populaires au monde à travers les années, mais aussi celle du pays auquel il est étroitement lié.
Cette histoire est avant tout celle de la famille Chin, et de l’importance de celle-ci dans le développement et la diffusion du reggae en Jamaïque et à travers le monde. L’épopée débute avec les époux Vincent, dit Randy et Patricia Chin qui fondent, en 1958, le label iconique Randy’s Record. Aussi, en 1962, ils produisent la chanson « Independent Jamaïca » pour célébrer l’accession de l’île à l’indépendance, gagnant ainsi leurs lettres de noblesse. Fort de leur succès, les Chin font l’acquisition d’un bâtiment au centre-ville de Kingston, au 17 North Parade plus précisément. Si à l’étage du bas, ils vendent des disques de reggae, ils installent à celui du haut un studio d’enregistrement qui verra défiler les plus grandes stars du reggae : le studio 17.
Chez les Chin, cet amour de la musique se transmet de génération en génération. Ainsi, dans les années 1970, Clive Chin, fils de Vincent et Patricia et l’un des principaux intervenants du documentaire, produit à son tour de grands succès. Malheureusement, le climat politique tendu de ces années-là, marqué entre autres par la tentative d’assassinat de Bob Marley en 1976, conduira la famille Chin à s’exiler à New York, laissant derrière eux le Studio 17 et les nombreuses bandes sonores qui y reposaient. Une quarantaine d’années plus tard, le décès de Joël Chin, fils de Clive, à Kingston dans des circonstances tragiques, conduira le célèbre producteur à déterrer et à remastériser les bandes sonores oubliées du Studio 17 pour leur donner un nouveau souffle.
L’intérêt principal de ce documentaire est de donner à tout amateur de musique une leçon d’histoire sur le reggae. Entre entrevues, images et vidéos d’archives, et bien entendu, extraits de chansons, on assiste à l’émergence de légendes comme Lord Creator et Jimmy Cliff dans les années 1960, mais aussi à celle de Bob Marley et des Wailers qui sont présents en filigrane tout au long de la trame. On y apprend entre autres les conditions dans lesquelles ont émergés certains succès planétaires comme My boy lolipop (1964) de Millie Small, ou encore Get up, stand up (1976) de Peter Tosh, mais aussi celles qui ont vu naître le ska de riffs de guitare, ou encore le dub dans une mise de l’avant du travail des « Drums » et de la basse.
L’histoire du reggae est intrinsèquement rythmée par celle de la Jamaïque, de l’euphorie de l’indépendance de 1962 au désenchantement des années 1970 qui s’est traduite par des violences armées et l’exil de nombreux·ses Jamaïcain·e·s. À cela se rajoute l’ouragan de 1998 qui avait balayé l’île et mis à mal de nombreux enregistrements dans le Studio 17.
Le film de Mark James nous apprend une multitude de choses et donne la parole à des gens intéressants : tout féru d’histoire en sortira ravi. Mais contrairement à la musique qu’il présente, il ne nous prend jamais à contre temps. On y retrouve une trame narrative propre aux documentaires produits par la BBC, plutôt lisse, avec certaines longueurs; il ne nous fait pas rêver. Pire, il ne nous fait pas non plus danser, et ce malgré les nombreuses pistes musicales qu’il contient. C’est peut-être parce qu’elles sont présentées à travers des extraits trop brefs et servent surtout à rythmer la narration. Il y a cependant une heureuse exception, celle d’une chanson incomplète, When you get right down to it enregistrée au Studio 17 par la légende Denis Brown alors qu’il était adolescent : on a un certain plaisir à la voir et surtout à l’entendre reprendre vie après toutes ces années passées dans l’oubli. Malgré tout, c’est un film que je recommande à tous les amateurs de reggae, ou de musique en général, qui en ressortiront imprégnés d’histoires et de mélodies.
Bande-annonce
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