« Have you ever been evicted from a house community due to
unsocial, immoral or inconsiderate activities? »
Une agente de sécurité d’immeuble résidentiel est confrontée à une bataille absurde contre une peur irrationnelle.
Sur un ton original, mais pas tout à fait assumé, We Might As Well Be Dead propose un regard unique sur la vie de communauté et la xénophobie.
On commence en force : une jeune famille visiblement inquiète marche en forêt à l’aube. Les parents agrippent fermement leur enfant par la main, dans l’autre, le père tient une hache. Une chorale a capella, une caméra omnisciente et des cadres symétriques ne font qu’ajouter à l’inquiétant mystère.
Cette famille se dirige dans une communauté pour trouver refuge. Elle est accueillie froidement par la garde de sécurité Anna qui, tout en les passant au détecteur de métal, demande mécaniquement : « Have you ever been evicted from a house community due to unsocial, immoral or inconsiderate activities? ». La famille à l’apparence plus que parfaite est méticuleusement analysée afin de considérer leur candidature pour intégrer la communauté. Devant le désespoir du père d’obtenir un logement, on comprend que, dans ce futur, les endroits sécuritaires se font rares, une menace rôde au-delà des clôtures barbelées.
Ainsi, dès les premières minutes, le ton et la prémisse sont bien installés. Dans cette communauté utopique (qui, comme on s’en doute, tourne rapidement à la dystopie), chacun à sa place et ses responsabilités et tous ceux qui ne se tiennent pas dans les rangs doivent en subir les conséquences, le tout, abordé avec un mélange de suspense et d’humour noir. Un ton original qui rappelle les meilleures œuvres de Lanthimos : des personnages antipathiques, un monde familier, mais décalé.
Ce qui fait souvent la force de ce genre de film est sa capacité à jouer avec nos attentes, à déformer ou exagérer la réalité afin de souligner son absurdité. C’est donc l’occasion de pousser la mise en scène, de proposer quelque chose de complètement inusité. Même si ce film comporte quelques moments marquants et des idées intéressantes, il demeure somme toute assez plat et unidirectionnel. Ainsi, son potentiel n’est jamais pleinement exploité. Pour reprendre la comparaison avec Lanthimos, ses films ne manquent jamais de nous bousculer, de nous perturber. We Might as Well be Dead semble prendre un pas dans cette direction avant de revenir sur un modèle plus conventionnel : l’histoire de personnage. Le point focal du film devient ainsi la protagoniste : sa relation avec sa fille, ses manquements envers la communauté, les risques auxquels elle fait face et sa possible rédemption. Pour le dire franchement et simplement, dans un univers où tout le monde est antipathique et hypocrite, je me fous des personnages. Cela ne diminue en rien la qualité des performances des comédien.nes, particulièrement celle de Ioan Iacob, la protagoniste, dont le charisme sombre et le jeu sobre contribuent grandement à la lourdeur de l’ambiance.
Dans sa représentation d’une communauté (dys)utopique, la réalisatrice tente évidemment de tisser une analogie avec un aspect problématique de notre société. Dans ce cas-ci, c’est la xénophobie qui est au centre de cette critique. La peur de l’autre de manière large : le nouveau venu, le poète à moitié fou, la juive… En lisant la biographie de la réalisatrice, Natalia Sinelnikova, on comprend mieux pourquoi elle voulait aborder cet enjeu. Juive d’origine russe, elle a immigré dans les années 90 avec sa famille en Allemagne avant de quitter à cause du contexte politique et de l’antisémitisme. Elle s’est visiblement inspirée de son vécu pour créer sa protagoniste Anna, mais l’antisémitisme n’en devient pas pour autant le point central de l’histoire. Cela se manifeste plutôt dans sa manière subtile d’imprégner l’atmosphère du regard des autres, de leur dédain et leur paranoïa. La réalisatrice parvient ainsi à nous faire ressentir une partie de l’anxiété que peuvent vivre les immigrants dans une société d’accueil pas trop accueillante. We Might as Well be Dead est un premier long métrage pour Natalia Sinelnikova. Espérons que son ton original, mais pas encore tout à fait assumé, aura la chance de se raffiner lors de ses prochaines œuvres. Espérons également qu’elle poursuivra son exploration de thématiques qui lui sont proches, qu’elle continuera d’exprimer sa vision sur des enjeux actuels et primordiaux.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième