« Je rencontre quelqu’un pour un mariage arrangé. »
Hanako (Mugi Kadowaki), une enfant riche et privilégiée, se retrouve isolée lorsque ses fiançailles prennent fin et que sa famille la pousse à trouver un autre mari parmi leur échelon social élevé. Miki (Kiko Mizuhara) arrive à Tokyo après avoir grandi dans une petite ville moins aisée, pour étudier et construire une nouvelle vie. Lorsque l’avocat aristocrate Koichiro (Kengo Kora) entre dans leurs vies, un triangle amoureux se forme.
Avec cette adaptation sophistiquée et multicouche de Aristocrats (あのこは貴族), roman de Mariko Yamauchi, Yukiko Sode s’interroge sur la façon dont les frontières et les hiérarchies de classe et de genre s’entremêlent dans une histoire nuancée d’amitié féminine.
Le Japon, c’est un drôle de mélange de tradition et de modernité. Dans le registre des mélanges, il y a l’idée de se caser. Dans bien des familles, le chiffre 30 en impose. C’est le point de départ du long métrage de Sode. Hanako a 27 ans et la pression vient de partout, sauf d’une de ses amies qui lui dit que rien ne presse. Mais une femme de 30 ans ne peut pas être célibataire. Elle se pliera donc à la demande de sa mère et acceptera un mariage plutôt arrangé. Sa famille lui offre deux choix d’hommes. La rencontre avec le premier étant un désastre, elle devra plaire — et apprécier — Koichiro. Heureusement, les deux se plaisent.
Six mois plus tard, le mariage aura lieu, entre deux êtres qui se connaissent à peine. Autre chose qui est bien claire dans le film de Sode : lorsque les jeunes adultes se lancent dans ces mariages planifiés, ils croient que ça apportera le bonheur. Heureusement, la modernité permet aussi aux mariés de divorcer. Étrange non? Oui, le Japon est fascinant.
Le réalisateur a divisé son film en 5 chapitres, dont deux focalisent sur Hanako et ses relations amoureuses et familiales (l’un n’est pas séparable de l’autre dans cette aristocratie). La scène dans laquelle Koichiro présente sa future fiancée à sa famille est toute droite sortie d’une époque qu’on aurait crue révolue. Les parents, grand-père et tante de l’homme sont assis sur des zabuton, en position formelle, alors que la jeune fiancée en devenir se prosterne (à l’extérieur de la pièce, jusqu’à ce qu’elle soit invitée à entrer par le vieil homme. Une fois invitée, elle ne s’avance pas tout de suite. Elle s’assoit aussi en position seiza, et attend d’être invitée à s’avancer. Puis, elle glisse sur les jambes en s’avançant lentement jusqu’au bord de son coussin. Une fois que la maîtresse de maison l’a invité à se joindre à eux, Hanako peut enfin prendre place devant sa petite table. Non, cette façon de faire n’est plus la norme. Mais elle existe toujours dans certains milieux. C’est ce que le film dénonce, en quelque sorte.
Aristocrats examine aussi la vie dans le Tokyo contemporain, du point de vue de deux femmes. Fondamentalement, les différences entre ces deux femmes, de deux classes différentes, sont mises de l’avant.
Le film devient une critique sociétale sur le rôle des femmes et ce qui leur est imposé. Par exemple, un homme adultère — toujours dans la grande bourgeoisie — ne se voit aucunement sanctionné. C’est comme si tromper sa femme était un droit acquis. En contre-partie, il est attendu de la femme qu’elle s’occupe de la maison et qu’elle produise — évidemment — un bébé garçon. La belle-mère est particulièrement agaçante avec ce détail. Elle va jusqu’à prendre un rendez-vous dans une clinique de fertilité, pour Hanako. Elle lui en parle, après, évidemment.
De l’autre côté, il y a Miki, qui vient de la modeste campagne. Elle se sauve à Tokyo afin de pouvoir étudier et se trouver un emploi qui lui plaira. D’une certaine façon, les deux femmes sont à la recherche de la liberté et du bonheur. Mais Miki (qui devient l’amante de Koichiro sans savoir qu’il est fiancé) doit éventuellement cesser ses études, car son père ne travaillant plus n’est plus en mesure de payer l’université. Le paternel explique d’ailleurs à sa fille que plutôt que d’aller à l’université, elle devrait apprendre à cuisiner afin de trouver un bon mari.
Il serait facile de continuer ce texte pendant plusieurs pages. Aristocrats est une exploration intelligente et engageante des rôles traditionnels et des attentes des femmes au Japon.
Un film aux multiples couches, qui se regarde comme on déguste un bon vin. Ma seule critique négative est que par moment, le réalisateur utilise des petits sauts dans le temps, qui ne sont pas toujours clairs. Il aurait été pertinent de plutôt ajouter quelques scènes pour passer d’un moment à l’autre. Mais ça aurait possiblement donné un film de plus de 2h30, et ça coupe un peu les possibilités de diffusions…
Quoi qu’il en soit, Aristocrats est un des meilleurs films de l’année. Si vous passez par Toronto, allez le voir. Sinon, ne le manquez pas lorsqu’il sera disponible en numérique.
Aristocrats est présenté au TJFF, le 25 juin 2022.
Bande-annonce
Je voudrais aussi ajouter que, bien que je critique la société japonaise, j’y porte beaucoup d’amour. Si vous connaissez une Japonaise qui se cherche un mari, pensez à moi. 😉
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