« We came to Canada to create jobs, not to take jobs. »
[On est venu au Canada pour créer des emplois, pas pour les prendre.]
Après avoir perdu leur maison et la chocolaterie familiale à Damas dans la guerre en Syrie en 2012 et après trois ans dans un camp pour réfugiés au Liban, pays avoisinant, la famille Hadhad bénéficie de la politique d’immigration accueillante sous le gouvernement de Justin Trudeau et peut venir s’installer au Canada – leur fils ainé Tareq (Ayam Abou Ammar) passant en premier pour préparer le regroupement familial. Avec le soutien de la communauté locale, Issam (Hatem Ali), le père, peut peu à peu construire une nouvelle usine de chocolat. Le début d’une histoire de succès vraie – et la base du film Peace by Chocolate de Jonathan Keijser, nommé d’après la chocolaterie canado-syrienne.
Le début du film laisse présager le contraire de ce que son titre annonce – il n’est ni paisible ni sucré, mais hostile et amer. Le film ouvre sur un très gros plan du visage de Tareq, entouré par une tuque épaisse, et tremblant de froid, pendant qu’un vent glacial souffle en arrière-plan. L’hiver canadien peu invitant fait remonter chez Tareq des souvenirs traumatisants de son passé – le bombardement de la ville de Damas, la fuite de sa famille au Liban, le fait d’avoir dû laisser tout derrière eux – leur maison, l’usine familiale et pour Tareq notamment la perspective de devenir médecin. Il a beau avoir reçu une seconde chance au Canada, celle-ci n’implique apparemment pas la poursuite de ses études puisque, jusqu’à présent, toutes les universités auxquelles il a postulé l’ont refusé.
Paisible et sucré, en revanche, c’était l’accueil que lui ont réservé ses sponsors canadiens, Frank et sa femme, à son arrivée à l’aéroport de Halifax. Tareq, l’adulte, se voit pris dans les bras de l’épouse souriante qui lui enfile un foulard et un bonnet avec l’inscription « Canada ». « Is it that cold? » [Fait-il si froid?] – voilà la première phrase du nouveau venu. Or, le froid et la frustration quant à l’arrêt forcé de ses études seront compensés par l’immense gentillesse des gens dans ce pays – des petites gens comme Frank dans le petit village d’Antigonish à la tête du gouvernement, Trudeau tenant un discours en faveur de l’accueil de réfugiés syriens, ce qui est la première scène que Tareq voit quand il allume la télé dans sa nouvelle maison. L’attitude optimiste se voit aussi dans les conversations sur Skype avec l’ainé et sa famille, encore au Liban. Au lieu de déplorer la situation lamentable dans leur patrie, la famille se comporte comme des touristes curieux imbus de clichés autour du Canada et lui pose plein de questions sur l’hiver canadien et sur l’ingrédient préféré des Canadiens : le sirop d’érable. S’agit-il ici encore d’une attitude authentique ou a-t-on plutôt opté pour une fictionnalisation des faits au profit d’une histoire « feel good »?
L’humour que l’on ressent d’emblée dans le film se poursuit à l’arrivée du reste de la famille Hadhad. Or, cette dernière met en lumière le conflit personnel de Tareq, qui se voit tiraillé entre son propre rêve de devenir médecin – il se voit offrir une place d’études, mais à l’autre bout du continent – et la responsabilité d’aider son père qui, tout comme la mère, ne parle aucun mot d’anglais. « Son, without you I’m illiterate » [Fils, sans toi, je suis illettré], estime Issam en arabe et confirme ainsi à quel point il dépend de son fils multilingue dans ce nouveau pays, notamment lorsqu’il est question de recommencer la fabrication de chocolat, le grand rêve du père qui se met à fouiner (de manière très drôle) dans la chocolaterie locale d’Antigonish et fabriquer ses premiers pralinés dans sa propre cuisine en y ajoutant ce petit quelque chose qui rend son chocolat si particulier. Et les expériences du patriarche ne passent pas inaperçues… Soutenu par Frank, enthousiasmé par le chocolat canado-syrien fait maison, Issam peut vendre ses bonbons à l’église locale – et le succès est énorme, comme il le constate lui-même : « You’d think Canadians just discovered chocolate for the first time » [On dirait que les Canadiens viennent de découvrir le chocolat pour la première fois]. Grâce au financement participatif communautaire, une petite cabane équipée du matériel professionnel de base est construite dans le jardin de la famille et les commandes se multiplient. Tareq, qui est entre autres responsable de la communication clients et qui lors de discours partout au Canada parle de l’expérience inspirante de sa famille, celle du « new Canadian dream » (nouveau rêve canadien), doit bientôt se décider : réaliser son propre rêve ou continuer de soutenir l’entreprise familiale?
Jonathan Keijser, le réalisateur de Peace by Chocolate, a entendu l’histoire de réussite de la famille Hadhad dans les actualités en Nouvelle-Écosse, où il a lui-même grandi. Fasciné par cette histoire et convaincu que le monde ait besoin d’une histoire de migration positive et inspirante, le cinéaste a eu l’idée d’en faire un film de fiction et a contacté la famille Hadhad qui était tout de suite partante. En effet, le film de Keijser n’était pas la première adaptation de leur histoire, le film ayant été précédé par le livre éponyme du journaliste Jon Tattrie. Dans le soin d’assurer le plus d’authenticité possible, Keijser a cherché des acteurs arabophones qui parlent le bon accent syrien pour qu’un public avisé reconnaisse les membres de la famille comme étant issus de la même région. Le même souci du détail a été observé par exemple lors de la reconstruction de la petite cabane en bois dans le jardin des Hadhad.
En fondant sa propre petite entreprise au lieu de vivre du soutien financier de l’État, la famille Hadhad incarne le réfugié modèle : bien formé, intelligent, assidu et prêt à travailler dur. Ceci est souligné par le discours de Tareq à l’ouverture de la grande usine des Hadhad à la fin du film : « We came to Canada to create jobs, not to take jobs » [On est venu au Canada pour créer des emplois, pas pour les prendre].
Que ce service au peuple canadien allât de pair avec l’abandon de son propre rêve – celui qui aurait voulu dire que le Canada lui offre ses services à lui, au réfugié – Tareq ne le mentionne pas dans ce discours. Très réussie dans ce contexte est la scène après l’un de ses autres discours, seul dans l’auditoire, loin des projecteurs, qui illustrent avec brio le sentiment d’être le spectateur de sa propre vie, le sentiment de rester sur la touche toute la vie – réalisant le rêve des autres.
Peace by Chocolate est un film de divertissement inspirant et bien produit, avec quelques idées esthétiques intéressantes, mais il ne rend pas compte de la complexité de la situation des migrant.e.s. Quoi qu’il en soit, il reste que tout comme le slogan des Hadhads l’annonce, « one peace won’t hurt », un peu de simplicité de temps en temps ne fera pas de mal.
Bande-annonce
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