Je poursuis ma couverture du Hot Docs avec deux longs métrages documentaires en compétition dans la catégorie « International Spectrum ». Le premier, Outside, a fait sa première mondiale ici à Toronto. Il suit sur plusieurs années le jeune Roma, mascotte de la révolution ukrainienne, avant le désenchantement et sa descente aux enfers, à l’image de la situation actuelle de son pays. Le second, The Wind Blows the Border, est un documentaire glaçant sur la situation actuelle au Brésil avec l’extrême droite au pouvoir chassant et discriminant les peuples autochtones de leur territoire sacré.
Sur la ligne de front de la révolution ukrainienne de 2014 (les manifestations pro-européennes qui s’opposent au choix du gouvernement de l’époque de ne pas signer un accord d’association avec l’Union Européenne au profit d’un accord avec la Russie), Roma, 11 ans, joue les gros bras, soutient les révoltés, avec son uniforme militaire et sa démarche volontaire. Lui qui est orphelin, désespérément à la recherche de sa mère, trouve chez les insurgés une seconde famille, du moins temporairement.
Cette gloire éphémère est glaçante, dès lors que la cinéaste ukrainienne Olha Zhurba le filme au milieu des barricades, jeter des projectiles et jouer avec le feu, avant de prendre de la méthamphétamine. Triste parcours d’un enfant influençable, sans protection, en quête d’identité et de contacts humains, que la vie a prédestiné au pire, en fréquentant des lieux et des personnes peu bienveillantes. La documentariste focalise son regard sur le garçon et met en arrière-plan les évènements. Son sujet n’est pas la révolution, mais bien Roma qui incarne toute une génération de laissés-pour-compte : orphelins, en proie aux crimes et à la drogue, dépourvus de chaleur humaine et d’amour, et surveillés par des caméras de surveillance dont la réalisatrice a inséré des images comme autant de tentatives pour intimider cette jeunesse errante, victime de l’instabilité de son propre pays.
Sur une période de sept ans, la métamorphose a lieu. Roma grandit, va à l’orphelinat puis y sort à sa majorité. Enfant de la rue, il fait les quatre cents coups et se réfugie chez son frère qui sort de prison. La réalisatrice s’accroche à ce personnage fuyant et imprévisible. Leur relation est sur le fil du rasoir et se matérialise par leurs échanges téléphoniques épisodiques, des sonneries sans réponse, des silences, où Roma apparaît de plus en plus marginal et éloigné de la réalité. Mais, heureusement, il a trouvé sur sa route la cinéaste Olha Zhurba qui tente de suivre et de comprendre un être qui lui échappe et qui échappe au monde.
Titre original : Outside
Durée : 79 minutes
Année : 2022
Pays : Ukraine, Danemark, Pays-Bas
Réalisation : Olha Zhurba
Note : 8 /10
Dans le sud du Brésil, à la frontière avec le Paraguay, une communauté de Guaranis lutte pour sa survie et la reconquête de ses terres non cédées qu’occupent des exploitations agricoles. Les gérants de ces exploitations sont habités par un esprit de rendement et par une haine farouche pour les autochtones qu’ils appellent les « Indiens ». Du côté des Guarani-Kaiow, tribu brésilienne ayant échappé aux tentatives d’assimilation, faire acte de résistance durant le mandat du président Bolsonaro, élu avec un programme anti-autochtone, est particulièrement héroïque. Discriminés, expulsés voire assassinés en toute impunité, l’existence même de ces premiers peuples est menacée dans un pays gouverné par l’extrême droite, protégeant les puissants fermiers et faisant raser les forêts sacrées pour les transformer en fermes d’élevage et en plantations de canne à sucre.
Je me souviens des mots de l’auteur autochtone Thomas King, tirés de son livre Inconvenient Indian : « Le problème a été les terres, et ce sera toujours les terres. […] Personne ne veut les Indiens. Nous voulons simplement l’idée des Indiens, car l’idée n’est pas terrifiante. L’idée ne crée pas de procès, l’idée ne résiste pas par rapport à ce qu’il se passe dans les territoires, l’idée est morte. »
Laura Faerman et Marina Weis, les deux réalisatrices de The Wind Blows the Border ont réussi un incroyable pari et casting en mettant sur le ring, face à face, les figures emblématiques des deux camps : Alenir Ximendes, militante Guarani-Kaiow, et Luana Ruiz, une impitoyable juriste et exploitante agricole, suppôt du gouvernement en place. D’un côté, la douceur et la beauté d’un monde en péril immortalisé en images avec beaucoup de poésie, l’énergie des Guarani-Kaiow dans leur juste combat pour défendre leurs droits. De l’autre, un monde capitaliste sans cœur, agressif et fasciste, filmé avec distance et rigidité. Avec ces deux façons de filmer chaque partie, les deux cinéastes prennent cinématographiquement position et posent ainsi leur regard d’auteures engagées sur un sujet complexe et délicat. Elles parviennent à créer une forme de Forum Romain où s’affronteraient à coup de rhétoriques les différentes opinions de la société : un espace démocratique qui manque cruellement dans le Brésil actuel.
The Wind Blows the Border fait froid dans le dos et s’ajoute à la liste des films s’insurgeant contre Bolsonaro et sa politique destructrice qui encourage la haine, discrimine les Premiers Peuples et brûle la forêt, notre mémoire, notre patrimoine et notre oxygène.
Titre anglais : The Wind Blows the Border
Titre original : Vento na Fronteira
Durée : 77 minutes
Année : 2022
Pays : Brésil
Réalisation : Laura Faerman et Marina Weis
Note : 8 /10
Les deux films sont diffusés en présentiel à Toronto les 2 et 7 mai, et visionnables sur la plateforme en ligne jusqu’à la fin du festival. Pour plus d’informations :
https://hotdocs.ca/whats-on/hot-docs-festival/films/2022/wind-blows-the-border
https://hotdocs.ca/whats-on/hot-docs-festival/films/2022/outside
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