Quel plaisir de pouvoir retourner dans les salles des festivals de cinéma! Je veux dire pas dans les salles virtuelles, mais bien en présentiel. L’équipe de Hot Docs avait dû proposer pour les éditions 2020 et 2021 un dispositif 100% en ligne, forcément frustrant pour les festivaliers et cinéphiles, mais nécessaire pour pallier la pandémie. Ceci avait permis au festival de s’étendre au-delà de Toronto et de poursuivre sa mission de présenter le meilleur du cinéma documentaire international contemporain (l’année dernière, j’avais découvert l’incroyable documentaire Life of Ivanna qui a reçu le Prix du meilleur documentaire au Festival international du film d’éducation en France, dont je suis l’un des sélectionneurs).
Le 30 mars dernier, devant la presse et les professionnels, on pouvait voir les visages radieux de l’équipe de Hot Docs présenter le cru 2022 et annoncer un dispositif hybride, avec salles physiques et une plateforme de visionnement en ligne accessible dans tout le Canada. Les festivaliers pourront donc naviguer entre 4 lieux de diffusion à Toronto, le planning de la journée à la main a presque un côté old school après « deux années blanches ».
C’est donc reparti, avec au choix 226 films diffusés du 28 avril au 8 mai. Il va falloir faire des choix et j’ai pu déjà en voir quelques-uns afin de vous aider à faire votre sélection.
Un musicien de 14 ans profite de son été dans le quartier populaire Peperklip, à Rotterdam aux Pays-Bas. Il se vante de sa gloire imminente et se pavane comme s’il était la vedette d’un clip vidéo, jusqu’à ce qu’il casse la voiture de sa grand-mère. Peut-il transformer ses fanfaronnades en argent et réparer les dégâts?
En cinéma direct, sans interview, la caméra de la réalisatrice Shamira Raphaëla s’infiltre dans les combines de Shabu, qui gère une relation amoureuse, mais tumultueuse, et des petits boulots pour payer les réparations de la voiture. Il a un grand cœur, il aime sa famille, néanmoins comme de nombreux adolescents de son âge il teste les limites pour s’affirmer, quitte à frimer et à conduire sans permis pour épater la galerie. Certes, il est un beau parleur, mais tente du mieux qu’il le peut à se racheter. Quand ses gestes maladroits et son manque de réalisme le rattrapent, le film en devient drôle et davantage passionnant.
La vente de glaces à l’eau, faites maison, la livraison de courses et son travail de manutentionnaire ne rapportent presque rien et il subit les railleries de sa famille et les plaintes de sa copine. Il décide alors d’organiser une fête, avec entrée payante, où il serait la vedette chantant son titre phare I am a little boy from Peperklip. Rêve inatteignable sans le sou?
Shamira Raphaëla a trouvé en Shabu un personnage fabuleux et animé par une joie de vie débordante : un personnage photogénique qu’elle filme dans une tranche de vie, celle de l’adolescence, où tout est encore possible et où tout se transforme continuellement par le biais de ses actes, ses passions changeantes et ses contacts avec les autres. La cinéaste livre un documentaire merveilleusement écrit et réalisé, qui fait sa première nord-américaine, et nous renvoie à nos propres souvenirs lorsque nous étions adolescents, pris entre nos rêves, nos amourettes et nos devoirs.
Titre original : Shabu
Durée : 75 minutes
Année : 2022
Pays : Pays-Bas
Réalisation : Shamira Raphaëla
Note : 8,5 /10
Le film est diffusé dans les salles à Toronto les 3 et 7 mai, et visionnable en ligne à partir du 4 mai pendant la durée du festival. Pour plus d’informations : https://hotdocs.ca/whats-on/hot-docs-festival/films/2022/shabu.
Première mondiale au Hot Docs pour ce film en compétition, avec 11 autres films dans la catégorie CANADIAN SPECTRUM, pour le meilleur long métrage documentaire canadien. The ASD Band est un groupe de quatre musiciens autistes, nés dans la banlieue torontoise par l’entremise de l’organisme de bienfaisance Jake’s house apportant du soutien aux personnes touchées par l’autisme. Le film suit l’aventure de ces musiciens talentueux alors qu’ils écrivent leur premier album avant un premier concert à Toronto.
Le grand intérêt du film est lorsqu’il questionne, cinématographiquement, la frontière avec la normalité : les moments où l’artiste autiste prend le pouvoir dans le documentaire au cœur de sa passion, de ses doutes et du processus de création, quand les barrières sociales et idées reçues disparaissent. La musique permet de parler le même langage, effaçant alors les signes de handicap et faisant oublier l’étiquette que la société humaine applique sur les individus qu’elle considère différents. Un titre du groupe ASD, Masquerade, rappelle que chaque personne autiste doit porter un masque dans la société pour paraître normal. La musique et les arts du spectacle permettent de faire tomber les masques, et tous les artistes se trouvent lors de leur performance dans un état second, dans la folie créative, et montrent leur vrai visage.
Le film est moins convaincant dès lors qu’il s’affaire à présenter individuellement chaque musicien du groupe, recourant aux archives familiales et le plus souvent à des entretiens filmés avec la famille. Ces parties du film isolent les membres du groupe et font apparaître une esthétique formatée proche du format télévisuel. C’est dans l’énergie collective que le film brille et les scènes de répétition et de création en disent plus que toutes les entrevues réunies. La magie de la communion des instruments et des auteurs-interprètes du groupe ASD inspire et propose une belle leçon de vie, une revanche symbolique sur le handicap et la distanciation sociale.
Titre original : OKAY! The ASD Band Film
Durée : 75 minutes
Année : 2022
Pays : Canada
Réalisation : Mark Bone
Note : 7 /10
Le film est diffusé dans les salles à Toronto le 29 avril et le 3 mai, et visionnable en ligne à partir du 30 avril pendant la durée du festival. Pour plus d’informations : https://hotdocs.ca/whats-on/hot-docs-festival/films/2022/okay-the-asd-band-film.
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