« Je ne reconnais pas ma mère, elle a tellement changé. »
Montréal, le jour de Noël, Maia (Rim Turki) et sa fille, Alex (Paloma Vauthier), reçoivent un mystérieux colis en provenance de Beyrouth. Ce sont des cahiers, des cassettes et des photographies, toute une correspondance, que Maia, de 13 à 18 ans, a envoyée de Beyrouth à sa meilleure amie partie à Paris pour fuir la guerre civile. Maia refuse d’affronter ce passé mais Alex s’y plonge en cachette. Elle y découvre entre fantasme et réalité́, l’adolescence tumultueuse et passionnée de sa mère dans les années 80 et des secrets bien gardés.
Durant ces dernières années, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, un couple de cinéastes et plasticiens libanais, ont principalement nourri leur travail autour de films de fictions et de documentaires, d’installations vidéo et de photographiques mettant en scène la représentation des destructions et des résidus laissés par la guerre du Liban, de 1975 à 1990, afin de mieux réinvestir l’histoire contemporaine. Avec Memory Box, ce quatrième long-métrage, Joana s’est inspirée de sa propre correspondance destinée à sa meilleure amie de l’époque qui avait quitté le Liban. La réalisatrice explique qu’après leur séparation, elles s’étaient juré de continuer de s’écrire. De 1982 à 1988, âgées de 13 à 18 ans, elles se sont effectivement écrit tous les jours, pendant 6 ans. Par le biais d’enregistrements de cassettes et de photos, Joana a raconté chaque instant de son adolescence dans les moindres détails, ainsi que la guerre civile qui faisait rage autour d’elle.
Près de vingt-cinq ans plus tard, elle reprend contact avec son amie et redécouvre tous ces trésors que chacune avait conservés respectueusement l’une de l’autre. Avec son compagnon et coréalisateur, Khalil Joreige, elle décide de repartir de cette matière pour raconter une histoire qui s’en inspire très librement tout en tissant un parallèle avec la jeunesse actuelle et les réseaux sociaux.
Le film bascule alors entre deux réalités temporelles : celle d’Alex (Paloma Vauthier) à Montréal en 2022 et celle de sa mère, Maïa (Rim Turki), à Beyrouth dans les années 80. Nous suivons alors Alex qui devient le témoin privilégié d’un récit qui ne lui appartient pas, mais dont sa mère et sa grand-mère lui ont caché une grande partie de leur passé. Elle entreprend alors un voyage à l’intérieur d’elle-même où elle doit faire la synthèse entre son identité et ses origines tout en redécouvrant sa mère sous un nouveau jour. Selon Khalil Joreige, « le film est aussi l’histoire d’un exil dans un pays d’adoption qui est lointain, le Canada, et le retour au pays, initié comme souvent par une génération plus jeune qui a envie de savoir. C’est aussi l’exil de soi-même ».
Memory Box laisse apercevoir quelques lacunes scénaristiques à certains moments. Le film est quelque peu surchargé également, voire un peu pesant, avec un mélange de sentiments où la fougue et l’insouciance de la jeunesse butent sur la dure réalité des combats. Malgré tout, il ne faut pas condamner le film pour autant. Ce que l’on retient surtout de Memory Box, c’est sa plastique incroyablement créative. Les journaux prennent littéralement vie sur l’écran, sous forme de collages, fragments, surimpressions, photos animées, superpositions, et incrustations. Il y a aussi une vraie authenticité visuelle qui s’appuie sur les dizaines de milliers de photos que Khalil Joreige a prises du Liban. L’importance de la photographie et le rôle que cette dernière peut jouer sur nos souvenirs est concrètement mise en avant. D’ailleurs, un parallèle émouvant de Maïa adolescente (Manal Issa) et de sa fille Alex est fait sur l’obsession commune de toujours tout prendre en photo. C’est ce qui rend cette œuvre magnifique et une aventure cinématographique fascinante à plusieurs niveaux.
« Sans être moralisateurs envers Internet ou les réseaux sociaux, il nous paraît intéressant de comparer les époques. Je possède environ 60 000 négatifs en vingt-cinq ans de pratique de photographe. Notre fille a fait en 6 mois 50 000 photos avec son téléphone », raconte Khalil Joreige.
C’est donc, esthétiquement, un véritable tour de force. Le style totalement original, l’implication des comédiens et l’attachement manifeste des réalisateurs au Liban apportent un regard nouveau sur le Moyen-Orient. Il est important également de souligner que la bande-son des années 80 est très fidèle à ce que les deux cinéastes écoutaient à cette époque et elle constitue un véritable pilier central dans le film. « On est structuré par les musiques qu’on a écoutées adolescent, elles nous ont constitués. La musique est un trait d’union générationnel, il n’y a rien de plus émouvant que d’entendre son enfant écouter une musique qu’on a adorée », explique Khalil Joreige. Celle-ci vient également adoucir et entraîner une sorte de mélancolie face aux horreurs dépeintes durant la guerre.
Malgré la situation libanaise actuelle, les réalisateurs ont voulu terminer sur une note positive, ce qui donne en soi, une finalité un brin forcée. Cependant, malgré ces petits accrochages, Memory Box est un film à découvrir.
Bande-annonce
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