« Vous savez madame, tout le monde fourre partout dans le collège, y’a rien d’autre à faire.»
Alexandre (Robert Naylor), un formateur pour l’armement des douaniers canadiens, retourne dans son village natal après avoir été diagnostiqué par son employeur pour sexualité compulsive. Alors qu’il se lie d’amitié avec une pilote de course islandaise (Tanja Björk), le protagoniste se voit placé sous surveillance par des enquêteurs de la police qui travaillent à faire la lumière sur une affaire de dessins à caractère sexuel qui trouble la paix au village…
Dès les premières minutes, quelques détails nous indiquent que le tout premier film de Philippe Grégoire va totalement sortir des sentiers goudronnés. Dans un son de vrombissement de moteurs s’ouvre un ballet de voitures tournant sur elles-mêmes, des lettres jaunes moulées de toute taille apparaissent sur l’écran au fur et à mesure que les plans de voiture s’enchainent, l’équipe du film s’y inscrit au grand complet. Un spectacle fantasmagorique totalement absurde un peu à la Quentin Dupieux. Si vous ne connaissez pas l’absurdité des films de ce réalisateur français et que vous vous attendez gentiment à « un film de char québécois » et bien, vous risquez d’être légèrement déçu.
Le bruit des moteurs c’est avant tout une belle énigme narrativement imaginative, visuellement soignée et dont le jeune cinéaste fait preuve d’un talent très prometteur.
Le Bruit des moteurs est aussi un film qui semble venir d’ailleurs, ce long métrage se montre très habile pour infuser un étrange malaise dans cet univers où tout le monde est un peu hagard, déshumanisé et paraît totalement échoué dans ce village où toute l’activité tourne autour de la piste de course. Philippe Grégoire retrace à travers son œuvre quelques tranches de vie qu’il fait resurgir de son passé de jeune étudiant en cinéma et de son expérience comme agent des douanes pour financer ses études. Originaire de Napierville, il s’inspire également de sa ville natale située à quelques kilomètres de Montréal pour en faire la capitale de son cinéma. Le réalisateur explique en toute humilité :
« Le bruit des moteurs me permet de faire la lumière sur une partie de ma vie que j’avais cherché à renier. »
Cependant, Le bruit des moteurs laisse partir le spectateur avec de grands questionnements. Mais quelle partie de ce que je viens d’écouter est vraie? Le récit met en scène le personnage d’Alexandre, un jeune homme de 22 ans à la sexualité compulsive générée par l’ennui de son environnement qui s’est fait congédier de sa formation d’armement de douanier. De retour chez sa mère, il est confronté à sa propre réalité. Il doit faire face à une mère un peu trop protectrice (dans sa tête), à des policiers qui mènent une enquête approfondie autour de l’auteur de dessins folichons (dans sa tête?), à une patronne libidineuse qui le harcèle sans relâche (aussi dans sa tête?) et à une pilote de course islandaise un peu surnaturelle avec qui il lie une amitié sincère (probablement dans sa tête).
Mais avant tout, à l’instar d’André Forcier dont le cinéaste admire la poésie des dialogues, c’est la mise en scène d’un personnage qui voit sa liberté bafouée, sa sexualité montrée du doigt. Il est devenu indésirable dans son propre coin de pays.
“Aux yeux des villageois et des institutions en place, Alexandre est une présence menaçante puisqu’il fait désormais partie de ces indésirables étrangers dont il faut tant se méfier.” explique Philippe Grégoire.
Le thème de l’héritage et des racines clash incontestablement avec la lourdeur institutionnelle et bureaucratique des douanes. C’est ce qui en fait de ce film une œuvre intelligente et réfléchie sans forcément tomber dans une caricature grotesque. L’atmosphère du film est pensée avec beaucoup de soin. Filmé en plan large principalement, la photographie de Shawn Pavlin englobe magnifiquement bien les comédiens livrés à eux-mêmes dans ce chaos improbable. Des costumes d’Amélie Richter au maquillage de Tania Guarnaccia en passant par la bande son originale de Joël Aimé Beauchamp, tout est parfaitement en symbiose.
“Rien n’a été fait à la légère avec ce film et c’est cette attitude que nous avions qui nous a permis d’accomplir un objet cinématographique qui s’exprime d’une façon assez singulière.” confie Philippe Grégoire.
Même si le récit se cherche par moment, pour un premier long-métrage à petit budget (199 000$), Le bruit des moteurs est une proposition originale et audacieuse, qui sort des carcans traditionnels, qui pousse le spectateur à la réflexion et qui apporte une vision authentique et décalée au cinéma québécois. Un véritable récit qui laisse périr l’espoir dans le cambouis.
Bande-annonce
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