« On risque rien, t’es déjà enceinte! »
France, 1963. Anne, étudiante prometteuse, tombe enceinte. Elle décide d’avorter, prête à tout pour disposer de son corps et de son avenir. Elle s’engage seule dans une course contre la montre, bravant la loi. Les examens approchent, son ventre s’arrondit.
Anne Duchesne (Anamaria Vartolemei) est une jeune femme brillante en lettres à Angoulême. Elle est bien entourée d’amies et vit entre la résidence universitaire et l’appartement de sa mère (Sandrine Bonnaire). Elle a une passion et un avenir : l’écriture.
Elle sort avec ses copines pour des danses, prendre un cola, rencontrer des garçons. On apprend assez rapidement dans le film qu’Anne est enceinte. Là où se trouve la faille de ce long métrage, c’est qu’on ne sait pas à quelle époque l’action se situe. On apprendra plus tard qu’Anne est née en 1940 et qu’elle a 23 ans et que, donc, on est en 1963! Souvent, les autos marquent l’époque de l’action dans un film, mais ici, elles sont absentes.
Un film ne présenterait pas une jeune femme qui tomberait enceinte en 2022, ça ne ferait même pas un sujet tellement c’est un événement banal et que les cliniques d’avortement sont bien implantées et discrètes dans le paysage courant de la vie actuelle. Mais en 1963, c’est une toute autre paire de manches.
Alors, cette recherche et découverte faites, le cinéphile s’adapte aux valeurs de l’époque et entre enfin dans l’histoire de la jeune femme.
Le film est tourné très proche du personnage principal, tellement que l’on se sent dans sa tête et dans son corps. On est donc loin du simple film de divertissement. Ça devient presque un documentaire sur l’avortement dans les années 60.
À partir du roman du même nom d’Annie Ernaux (Annie-Anne), l’intention de la réalisatrice Audrey Diwan a été de très fidèlement mettre en images le récit de l’auteure.
Ce film raconte une expérience physique. Une détresse immense à une époque fermée à la solution du choix de vie. Jamais dans les 99 minutes du film le mot avortement ne sera prononcé. Le scénario a respecté à la lettre l’atmosphère de l’époque où les non-dits étaient monnaie courante. Le silence aurait pu être le titre du film.
Comme spectateur, on est collés sur les souffrances et de la détresse d’Anne. Un combat entre le corps et l’esprit. La souffrance du corps contre le salut du cerveau. « Anne est un soldat, elle part à la guerre… » dira l’actrice Annamaria Vartolomei en entrevue.
Les hommes sont aussi présents dans le film, mais irresponsables comme nous l’étions à l’époque. Un ami d’Anne lui propose une baise en disant : « On risque rien, t’es déjà enceinte! »
Bien sûr que l’on finit par rencontrer une avorteuse clandestine. Mais à l’époque, rien n’était simple. Je pense à nos mères, une tante, cousine et voisine à qui une telle situation est sûrement arrivée et qui ont dû aller accoucher en Abitibi ou ailleurs pour sauver la réputation de la famille. Il n’y avait pas d’autre choix.
Anne a un problème personnel et pas de solution évidente. Elle est tellement seule avec elle-même et on le sent bien.
Une image formidable, quand elle embrasse sa mère, dont le regard est rempli d’inquiétude, mais qui ne sait pas dire les mots nécessaires.
Les images sont parfois très fortes, crues et dérangeantes, mais absolument nécessaires.
Un film très courageux.
* Ma note tient compte du manque de clarté sur l’époque.
Bande-annonce
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