Les temps sont durs pour la culture, mais le cinéma résiste!
L’année 2021 se termine comme elle a commencé. Avec des signaux d’alarme et des sirènes qui résonnent partout dans le monde. Les salles de cinéma, réouvertes courant 2021, referment au Québec et dans d’autres régions du globe brisant à nouveau le lien entre les œuvres et les publics et annonçant de nouvelles difficultés pour l’industrie du film en raison de perspectives de recettes aléatoires et des fenêtres d’exposition fragilisées.
À Toronto où je vis, la réouverture des salles à partir de l’été 2021 s’est faite timidement à part dans les grands complexes. Des cinémas de quartier restent encore fermés à ce jour et je me demande d’ailleurs si le public est au rendez-vous dans les petites salles comme dans les multiplexes qui ont ouvert leur rideau. Une chose est sûre : la consommation des images n’a pas ralenti, la pandémie a simplement accéléré l’avènement du petit écran avec les offres de vidéo à la demande. Tout le monde s’y met. Même les distributeurs, les salles et les festivals.
En parlant des festivals, ils ont proposé au cours du premier semestre une expérience 100% virtuelle à cause de la fermeture des salles de spectacle, puis ont proposé un format hybride (présentiel et virtuel) qui a débuté au Canada avec le TIFF en septembre jusqu’aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) le mois dernier. Pour les passionnés de cinéma comme moi, cette période est de bon augure, je dois le dire, avec ma casquette de critique. Sans me déplacer et en télétravail, j’ai eu la chance de couvrir la programmation de plusieurs festivals pour Le Petit Septième et de bâtir, avec mes collègues programmateurs, une belle édition du Festival international du film d’éducation qui se tient en France chaque début décembre.
Finalement, ce fut une année riche cinématographiquement avec de beaux trésors, imaginés et créés notamment par de jeunes cinéastes à travers le monde, qui renouvellent et entretiennent la beauté du septième art. Cela prouve au moins une chose. Le cinéma est bien vivant, il n’est pas encore mort : petit clin d’œil à Jean-Luc Godard qui prédisait au début des années 1980 que le cinéma allait mourir, car il avait raté son rendez-vous avec l’histoire n’ayant pu empêcher aucune des catastrophes historiques du 20e siècle. S’il n’a pas vu venir la pandémie de la covid-19, le cinéma en est toutefois le témoin privilégié, mais aussi la victime collatérale.
Assez parlé! Voici mon top 5 de 2021 : de grands films découverts dans des festivals cette année et qui, je l’espère, poursuivront bientôt leur carrière dans les salles obscures!
Sélectionné à la Berlinale en 2021, La Mif est un drame social à la fois fascinant et cru. Le film suit une bande d’adolescentes qui vivent avec leurs éducateurs dans un foyer d’accueil. Comme une famille, elles ne se sont pas choisies et elles vivent sous le même toit. Lorsqu’un fait divers met le feu aux poudres, c’est tout un système sclérosé et rétrograde qui se révèle au grand jour.
Le réalisateur Frédéric Baillif a travaillé étroitement avec les résidentes et les éducateurs d’un vrai foyer. Les adolescentes ont participé à l’écriture du scénario avec des scènes parfois improvisées reposant sur un jeu naturaliste, à fleur de peau, prenant les allures d’un véritable documentaire.
Tourné en caméra portée, le cinéaste trouve la bonne distance pour filmer la relation entre ces jeunes femmes et leurs éducateurs qui se révèlent tout aussi impuissants que merveilleux face à une détresse et une colère qui s’expriment avec violence et maladresse. Le film découpe cette cellule familiale en histoires particulières centrées sur plusieurs filles du groupe qui transportent, chacune à leur niveau, leurs secrets, leurs douleurs, leurs démons et leur besoin viscéral d’amour et de reconnaissance.
La Mif apporte un regard juste, non misérabiliste, sur ces enfants, confinés, que l’on ne voit pas, et que le système tente d’aider avec peu de moyens. J’ai été happé par l’énergie contagieuse de ces actrices non professionnelles, époustouflantes de vérité, qui mettent en évidence les valeurs essentielles d’éducation, de tolérance et de protection de l’enfance.
La découverte du film d’animation Charlotte, alors que le film faisait sa première mondiale au TIFF, a été un choc émotionnel et pictural, un plaisir des sens, l’un des plus beaux films que j’ai vus cette année : une œuvre complexe dans la sombre histoire vraie d’une famille maudite au cœur des pages meurtries de l’Histoire.
Berlin, années 30. Charlotte Salomon est une jeune fille de bonne famille, frondeuse. Lors d’un voyage à Rome, elle visite la chapelle Sixtine et découvre le plafond de Michel-Ange. C’est une épiphanie, elle veut devenir artiste-peintre. Elle passe le concours et est reçue à l’Académie des Beaux-Arts de Berlin. Face à la montée du nazisme, juive, elle se réfugie à Villefranche-sur-Mer dans le Sud-Est de la France. L’art s’impose comme le seul moyen d’échapper à son destin tragique.
La technique d’animation y est fabuleuse et fluide rendant grâce à la beauté des décors et des peintures tantôt enchantées, tantôt mélancoliques de cette artiste prodigieuse et prolifique, morte à Auschwitz en 1943. Le récit suit la puissance créative de Charlotte qui souhaite immortaliser sa vie dans une œuvre autobiographique et profiter dans le même temps des joies de la vie amoureuse. Elle sait que le temps presse, elle sent qu’elle va bientôt mourir : une malédiction règne dans sa famille avec un mal de vivre et des tragédies, et la guerre s’approche à grands pas prenant une tournure inquiétante avec les rafles qui se multiplient.
Sélectionné à la Berlinale au début de l’année, Brother’s Keeper me fait encore frissonner de froid et d’effroi. Le film a fait sa première au Canada au Festival international du film de Vancouver en octobre.
Au cœur de la région montagneuse de l’Anatolie en Turquie, l’hiver glacial rend les conditions de vie hostiles dans un pensionnat pour jeunes Kurdes, ceci amplifié par une panne de chauffage et des enseignants autoritaires qui mènent les enfants à la baguette. Quand le petit Memo tombe malade à la suite d’une punition qui lui fait prendre une douche froide, son ami Yusuf lui vient en aide, alerte les adultes incrédules et le porte sous la neige tombante dans l’infirmerie glaciale sous équipée. Yusuf veille au grain et incarne un médiateur autodésigné entre une enfance maltraitée et un monde des adultes violent. Volontaire et humble, habité à la fois par la bonté et la détresse, il fait penser aux jeunes héros du cinéma d’Abbas Kiarostami.
La caméra à l’épaule, anthropomorphique, ajoute une tension dans le déroulement des évènements à mesure que l’état de Memo s’aggrave et nécessite un médecin qui ne peut venir en raison des conditions climatiques. Le cinéaste Ferit Karahan insuffle alors dans son œuvre un suspense intenable avec l’image d’un pensionnat enneigé, coupé du monde et replié sur lui-même, où règnent la peur et les mauvais traitements, laissant à la manœuvre des adultes insensibles et irresponsables.
La vie est rude dans la toundra arctique russe, elle peut même nous paraître hostile. Ivanna fait partie du peuple autochtone Nenets et mène une vie nomade avec ses cinq enfants. Elle et sa jeune progéniture habitent au sein d’une petite communauté dans une cabane mobile posée sur la glace : habitation fragile, recouverte de peaux, parfois mise à rude épreuve en raison des intempéries. Ivanna a la vie dure depuis que son mari a quitté la toundra pour travailler à l’usine. Elle n’a pas eu d’autre choix que devenir coriace et forte et de multiplier les rôles : matriarche, protectrice, éducatrice, décideuse et voyageuse.
Le réalisateur Renato Borrayo Serrano filme un temps révolu, un mode de vie traditionnel qui disparaît comme la banquise et a fasciné tant de cinéastes documentaristes : l’Américain Robert Flaherty avec Nanouk l’Esquimau et L’Homme d’Aran, ainsi que les Québécois Michel Brault et Pierre Perrault avec Pour la suite du monde.
Sélectionné au Hot Docs en 2021, Life of Ivanna est un pur bijou, un ovni cinématographique réalisé dans l’esprit du cinéma direct au cœur de décors fascinants et de conditions de tournage extrêmes. Il a remporté il y a quelques semaines en France, le Prix du meilleur long métrage documentaire au Festival international du film d’éducation.
Sélectionné au TIFF, Flee est un documentaire d’animation d’une puissance émotionnelle incroyable qui a remporté en 2021 le Cristal du long métrage au Festival d’Annecy et le Grand Prix du jury dans la catégorie documentaire international au festival du film de Sundance.
Le film raconte l’histoire vraie d’Amin Nawabi, un Afghan qui a fui son pays en proie à la guerre civile et s’est installé dans les années 1990 à Copenhague, après avoir transité avec sa famille par la Russie. Alors que l’Afghanistan vit à nouveau une période de grande instabilité politique conduisant une partie de la population à quitter le pays, le film sort dans un contexte des plus favorables pour rappeler les conditions de vie et de transit indignes de nombreuses populations migrantes et l’accueil parfois inhumain qui leur est réservé.
Le génie de Flee réside dans sa construction fluide et sophistiquée entre passé et présent. Film dans le film, il repose sur des entretiens d’Amin réalisés par son ami de longue date, le réalisateur danois Jonas Poher Rasmussen, qui place au centre du dispositif de mise en scène cette configuration interviewé/intervieweur. La vérité documentaire est fragile et poreuse, le passé d’Amin le hante et le réalisateur le pousse alors dans ses retranchements pour l’aider à dévoiler sa vraie histoire de migrant. Quelle vérité est bonne à dire pour sauver sa peau et préserver sa famille?
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