« There is a saying that every Chinese woman is a pretty Chinese business card. »
[Il y a une expression qui dit que chaque Chinoise est une jolie carte d’affaires chinoise.]
Ascension examine le « rêve chinois » contemporain à travers des observations stupéfiantes du travail, du consumérisme et de la richesse. En explorant cinématographiquement l’aspiration qui anime la Chine moderne, le film plonge dans les paradoxes universels du progrès économique.
Avec son documentaire, Jessica Kingdon offre un portrait impressionniste de la chaîne d’approvisionnement industrielle de la Chine, et révèle ainsi la division croissante des classes du pays à travers des observations stupéfiantes.
Ascension dépeint le capitalisme en Chine à travers les niveaux de son fonctionnement, de la mine la plus grossière aux formes de loisirs les plus raréfiées. Il y a d’ailleurs une séquence où on voit travailler des ouvriers et ouvrières qui fabriquent des « sex dolls ». Il s’agit probablement du moment le plus cocasse du film.
Afin de démontrer de façon efficace la séparation qui existe entre chaque « caste sociale », la réalisatrice a structuré son film selon 3 niveaux social, afin de montrer comment s’opère la structure capitaliste chinoise : les ouvriers qui dirigent la production en usine, la classe moyenne qui forme et vend aux consommateurs ambitieux, et les élites se délectant d’un nouveau niveau de plaisir hédoniste.
Le film juxtapose ces espaces très différents pour montrer une connectivité cachée, mais intrinsèque. En gravissant les échelons de l’échelle sociale de la Chine, nous voyons comment chaque niveau soutient et rend possible le suivant. Et surtout comment la véritable mobilité ascendante entre ces niveaux reste en grande partie un fantasme insaisissable. Bien que les niveaux existent côte à côte, l’ascension est un voyage à travers les générations, profitant à quelques individus en pleine ascension, au détriment de beaucoup. Finalement, ces Chinois ne sont pas si différents des Américains…
On se retrouve donc dans un film qui offre des moments presque surréels. En montrant des paradoxes qui représentent exactement ce qu’est le capitalisme, la réalisatrice met en lumière des problématiques très spécifiques. Quoi de plus surréel que de voir des gens qui suivent un cours pour devenir « butler » en 2021? Cette séquence montre toute la folie de ce capitalisme qui évolue en version accélérée. On apprend à ces gens comment placer les assiettes en les alignant avec le couteau afin que tout soit bien mesuré et ajusté de façon parfaite. Puis on leur explique qu’il est normal que leur patron riche leur crie après et les traite comme de la merde. L’important est de ne pas réagir en face du patron. On peut parler dans son dos, mais il ne faut surtout pas lui manquer de respect…
Ce projet n’est pas que surréel dans son contenu. Il est aussi dans sa création. Le tout est parti d’un voyage à Yiwu, dans le Zhejiang, en Chine, pour créer un portrait du plus grand marché de petites matières premières de Chine, qui est devenu le court métrage Commodity City. Yiwu est un espace semi-public, tentaculaire, dans lequel les fleurs en plastique rivalisent avec les étuis pour téléphones portables et les chapeaux MAGA pour attirer l’attention des acheteurs en gros. C’est aussi une parfaite image de l’absurdité de l’excès capitaliste. Ce lieu est un point d’arrêt pour la plupart des objets inutiles qui passent de l’usine au monde extérieur, où ils vivront une courte vie avant d’être transformés en déchets polluants. C’est là qu’est venue l’idée pour Ascension.
Tourné dans 51 lieux à travers le pays, ce documentaire est un film d’observation et d’essai qui pose des questions par juxtaposition visuelle. Cette juxtaposition de la richesse et de la pauvreté, du mouvement et de la stase, de l’humain et du robot, suggère des relations complexes et souvent coercitives entre les différents niveaux de l’entreprise capitaliste sans les réduire à de simples équations. Bien qu’à priori la réalisatrice semble vouloir discréditer la valeur morale du système chinois, elle parvient finalement à attirer l’attention du spectateur sur les aspects universels de la création et de la consommation industrielle, et de poser des questions à savoir qui en sont les réels bénéficiaires.
Où grimper les échelons mène-t-il vraiment? Vers quel but grimpons-nous? Quel est le prix de cette ascension? Voici les réels questionnements qui parcourent le film de Kingdon.
J’aimerais finir ma critique sur une citation de la réalisatrice, qui résume assez bien son œuvre :
« As a biracial Chinese-American, the liminal space I’ve occupied, both in China and America, has led to my preoccupation with the meaning of culture and the ways in which identity is performed. Where does something “Chinese” begin, and something “American” end? What does it mean that both countries strive to surpass each other, and are now locked in a trade war devastating economies worldwide? » [En tant que sino-Américaine biraciale, l’espace liminal que j’ai occupé, à la fois en Chine et en Amérique, m’a amené à me préoccuper du sens de la culture et des manières dont l’identité est réalisée. Où commence quelque chose de « chinois » et où se termine quelque chose d’« américain »? Qu’est-ce que cela signifie que les deux pays s’efforcent de se surpasser et sont maintenant enfermés dans une guerre commerciale qui dévaste les économies du monde entier?]
Note : 8.5/10
Titre original : Ascension
Durée : 96 minutes
Année : 2021
Pays : États-Unis
Réalisateur : Jessica Kingdon
© 2023 Le petit septième