[VIFF] Flee – Et la vérité documentaire

« On n’a aucune idée de ce qui allait nous arriver. Personne ne nous disait rien. »

Flee - afficheAttention, chef-d’œuvre! Également découvert au TIFF, Flee est un documentaire d’animation d’une puissance émotionnelle incroyable qui a remporté cette année le Cristal du long métrage au Festival d’Annecy et le Grand Prix du jury dans la catégorie documentaire international au festival du film de Sundance. 

Le film raconte l’histoire vraie d’Amin Nawabi, un Afghan qui a fui son pays en proie à la guerre civile et s’est installé dans les années 1990 à Copenhague, après avoir transité avec sa famille par la Russie. Alors que l’Afghanistan vit à nouveau une période de grande instabilité politique conduisant une partie de la population à quitter le pays, le film sort dans un contexte des plus favorables pour rappeler les conditions de vie et de transit indignes de nombreuses populations migrantes et l’accueil parfois inhumain qui leur est réservé.  

Entre passé et présent

Le génie de Flee réside dans sa construction fluide et sophistiquée entre passé et présent. Film dans le film, il repose sur des entretiens d’Amin réalisés par son ami de longue date, le réalisateur danois Jonas Poher Rasmussen, qui place au centre du dispositif de mise en scène cette configuration interviewé/intervieweur. Il s’insère même, tel un documentariste, dans l’intimité du lieu de vie d’Amin qu’il partage avec un autre homme avec qui il a le projet de se marier et d’acheter une maison dans la campagne autour de Copenhague. Ce désir de stabilité et de normalité dans le présent est fragilisé sans cesse par le passé qui hante Amin.

De ses confidences jaillit un flux incessant et chronologique d’images d’un passé à la fois chaotique et sensoriel. Œuvre résolument lyrique, le réalisateur insère ponctuellement de vraies images d’archives illustrant les événements racontés (des images télévisées aux films amateurs), ainsi que des images animées proche du fantastique dès lors que les souvenirs d’Amin sont en proie à une peur incontrôlée et au cauchemar. Ce passé qui nous est donné à voir est le témoin direct des conséquences de la guerre froide sur sa famille où son pays servait de terrain de jeu dans les années 80 entre les États-Unis et l’URSS; de la découverte de la musique pop que le jeune adolescent écoutait à l’époque avec son baladeur et d’un modèle de virilité occidentale incarné par Jean-Claude Van Damme; de moments apaisés et ludiques en compagnie de son frère et de jeunes de son âge; de son exil vers une Russie corrompue et désincarnée qui se réveillait douloureusement après la chute du communisme; des passeurs malhonnêtes qui monnayaient à prix fort des transits dangereux vers l’Europe; jusqu’à son arrivée à Copenhague, seul, avant d’être conduit dans un centre de réfugiés inconfortable. 

Vérités et mensonges?

Flee - Vérités ou mensonges

Flee pose en filigrane une grande question qui a toujours traversé le cinéma, en particulier documentaire : qu’est-ce que la vérité? et qu’Orson Welles s’était amusé à mettre à mal, avec son génie que l’on lui connait, dans son essai Vérités et Mensonges (F for Fake) sorti en 1973.

Le film bascule lorsque le réalisateur qui interviewe Amin constate que certaines informations autour de sa famille sont contradictoires. 

« — Je pensais que toute ta famille était morte. Ce n’est pas le cas?
Non. »

Amin, alors poussé dans ses retranchements, avoue avoir inventé une histoire pour obtenir sa demande d’asile et menti sur le fait que sa famille était morte en Afghanistan. Le miracle du film est de balayer l’histoire « officielle » et de mettre en image la vraie histoire d’Amin, avec un récit personnel et poignant d’une forte intensité émotionnelle, ponctué d’actes de résilience, de renoncements et d’un courage à rude épreuve, pour échapper à la cruauté de la guerre et d’un régime politique terrorisant sa propre population.

Alors que les vagues de migrants continuent à se déverser en direction de l’Occident, ce film constitue une magnifique leçon de vie en montrant les limites d’un système dans lequel des histoires humaines meurtries et parfois incommunicables doivent entrer dans les critères d’admissibilité d’un accueil bureaucratique, si ce n’est pas technocratique. Quelle histoire à raconter dans ce cas pour cocher les bonnes cases? Quelle vérité est bonne à dire pour sauver sa peau et sa famille?

Note : 9,5 /10

Bande-annonce

Fiche technique :

Titre original : Flee
Durée : 90 minutes
Année : 2021
Pays : Danemark, Suède, Norvège, France
Réalisation : Jonas Poher Rasmussen
Scénario : Jonas Poher Rasmussen, Amin

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