« Déni, abus sexuels, survivants, enquête, aveuglement, secret, conspiration, justice, suicide, mensonge, scandale, oppression, humiliation, servitude… »
Tels sont les mots qui composent la ligne verticale de la croix sur l’affiche du film, avec LE SILENCE pour ligne horizontale.
On parle ici du fléau des abus sexuels, sujet extrêmement personnel, mais qui devient communautaire et mondial. Des abus sexuels ont été commis à répétition, et ce, sur une longue période au vu et au su des autorités religieuses dans beaucoup de régions de ce pays. Le film de Renée Blanchar traite particulièrement des diocèses de Moncton et de Bathurst, au Nouveau-Brunswick. Les milliers de cas découverts récemment dans les pensionnats autochtones ne sont pas étrangers au présent propos.
Des garçons, uniquement des garçons, ont servi d’objet sexuel pour des hommes d’Église déviants, usant de leur autorité sur les jeunes pour la chair et sur la communauté pour le silence. Il a fallu plusieurs décennies avant que les premières accusations soient rendues publiques et que le silence soit enfin brisé.
« Ils ont muselé trois générations… »
Le film de Renée Blanchar est extrêmement pertinent, d’une sensibilité à fleur de peau et d’une modestie remarquable. J’ai pleuré tout le long. D’émotion et de compassion.
Elle montre les hommes que sont devenus ces garçons, victimes de ces abus, dans leur milieu modeste et souvent triste. Ce sont des témoignages extraordinaires de simplicité et de sincérité qui sont présentés ici.
Des hommes matures qui pleurent en brisant ce silence imposé… Souvent imposé par leurs propres parents qui ne savaient pas quoi faire des demi-informations qu’ils recevaient de leur garçon ou de leur voisin. Après tout, comment confronter un représentant de Dieu?
Le père Lévi Noël est décrit comme étant un de ceux qui ont le plus profité des largesses de son évêque qui le déplaçait d’une paroisse à l’autre lorsqu’il avait des doutes ou des plaintes d’abus contre lui. Le Père Noël a pu ainsi abuser des jeunes garçons d’une dizaine de paroisses. Il a au moins 100 victimes à son dossier.
Jean-Paul Mélanson, Victor Cormier, Lowell Malais, Bobby Vautour et plusieurs autres parlent :
« Tu te fais toucher, tu viens dur tout de suite… » nous dit un homme qui se rappelle de ses 13 ans.
« J’ai jamais parlé des attouchements par peur d’être pris pour un gay!” nous dit un autre.
« Il se frottait sur nous autres… »
« J’ai jamais aimé qui j’étais, qui je suis… »
« J’ai tant voulu crier… »
« J’m’ai fait fourrer! » dit celui-ci lorsqu’il a appris qu’il y avait des milliers de victimes et qu’il n’était pas seul, en voyant à la télé Benoît XVI faire ses excuses du bout des lèvres lors d’un voyage à Boston.
« Du touchement au violage, c’était pas du sexe, c’était de la cochonnerie! »
Ces hommes qui se livrent, souvent en pleurant, constituent l’essentiel du film, le plus déchirant. Les aspects légaux et psychologiques sont aussi présents, car la réalisatrice a fait de son film un sujet complet, jusqu’au règlement légal pour certains. D’autres refusent que l’argent rachète leur mal et plusieurs autres n’auront pas à se poser la question, ils se sont suicidés.
Comme ce jeune de 15 ans qui s’est tiré une balle dans la tête parce qu’il ne voulait pas aller au camp le lendemain… Ses trois sœurs témoignent de leur vie brisée à jamais. C’était leur aîné…
Ce film remet aussi en question, au passage, la faiblesse du système de justice du Nouveau-Brunswick qui a failli à la tâche, qui est lui aussi tombé dans le panneau d’un genre de compassion pour les religieux.
Une religieuse commente : « L’Église doit mourir telle qu’elle est… »
Un autre raconte comment sa mère le questionnait à propos du sang qu’elle voyait sur les draps de son lit. Il disait saigner du nez, son anus était déchiré.
Un éthicien donne son opinion à l’effet que pour Rome, Cap-Pelé ou Bathurst, c’est sans valeur. Les fidèles catholiques sont maintenant en Afrique ou aux Philippines, ou encore en Amérique du Sud.
Le documentaire nous rejoint avec des images de journaux télévisés que l’on a vues dans les dernières années : un prêtre pédophile condamné à Moncton et qui prend le chemin de la prison.
Ces hommes victimes de ces sévices ne sont pas fonctionnels, ni aujourd’hui, ni dans les années passées. Et ni au travail, ni dans leur couple. Plusieurs ne peuvent pas montrer leur affection à leur conjointe, prisonniers qu’ils sont de ce très lourd passé.
Renée Blanchar, qui avait pondu Profession ménagère il y a quelques années, livre ici un très grand document. Un film absolument nécessaire pour briser le silence, un document d’une clarté sans pareil. D’un bon film, on dit parfois, je ne voulais pas que ça finisse, mais en ce qui concerne Le silence, je voulais que ça se termine. Je ne pouvais plus en prendre, malgré la capitale nécessité de son film.
Une scène importante est celle où on décroche le panneau lumineux avec le nom de l’aréna Père Camille-Léger sous les applaudissements des citoyens.
Merci la réalisatrice. Madame, vous m’avez touché!
Note : 10/10
Bande-annonce
Titre original : Le silence
Durée : 106 minutes
Année : 2020
Pays : Canada/Québec
Réalisateur : Renée Blanchar
Scénario : Renée Blanchar
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