« Essaye jamais de te connaître… »
Cette œuvre de Bruce LaBruce m’a laissé très songeur suite à son visionnement. Un film homosexuel ou plutôt autosexuel, dans lequel les normes sociales sont totalement bafouées pour faire place à des images pour le moins marginales, originales et souvent provocantes.
Dominic (Félix-Antoine Duval) est un homme troublé, élevé par sa grand-mère où il vit encore malgré ses 25 ou 30 ans. Je dis troublé parce que les premières images nous le montrent ayant des visions assez étranges d’un jeune homme habillé en moine et qui semble le chercher.
Suite à la découverte de lettres écrites par sa mère qu’il croyait morte lors de l’accouchement, il part à sa recherche avec sa moto. Il se retrouve au cœur du village de Saint-Narcisse, d’où venaient les lettres de sa mère, et se fait dire par la serveuse du restaurant que oui elle connaît Béatrice Beauchamp. C’est une sorcière qui vit dans le bois avec une femme plus jeune qu’elle…
Une scène assez troublante précède : il trouve, au cimetière, la pierre tombale de sa mère avec, à ses côtés, sa propre pierre tombale. Sa mère est censée être morte, mais lui aussi…
La rencontre avec la mère et sa compagne, ainsi que son installation chez elles, se passe assez mal, mais Dominic a tellement besoin de savoir d’où il vient qu’il persiste.
Ce film dépasse toutes les logiques de scénarios connus. Lors d’une Mother and son reunion, une prostituée lui lance : « Essaye jamais de te connaître… » Dominic qui n’accepte pas le passé homosexuel de sa mère, puis un plongeon dans le religieux, un monastère où le directeur (de mon titre Père vert…) est complètement exalté par le jeune qu’il considère comme Saint-Sébastien. « Tu es mon salut. » Dominic qui se masturbe à genoux comme en prière avec une musique grégorienne… Autant d’éléments projetés sans lien ni suite…
Ce film a par contre la qualité de nous amener ailleurs. On oublie le temps gris et la campagne électorale fédérale, la pandémie ainsi que la défaite de Leylah au tennis. On voyage dans nos souvenirs, croyances, fantasmes et la fameuse crainte de Dieu que les plus vieux reconnaîtront. Aussi, le vieux Plymouth rose 1956 qui renaît.
Trouver la grâce dans la souffrance, telle est la suite du film.
Parle-t-on de deux destins? Deux vies non vécues?
Certes, la dépravation se lit dans la suite du scénario, le sexe incertain, l’orientation sexuelle encore moins, et encore la souffrance indissociable de la religion.
Tout ça se conclut avec des images de réunion pour le moins hors-normes : des hommes et des femmes plurisexuels et des bébés pour nous indiquer l’avenir du monde. Pour couronner le tout, une musique d’ambiance : It’s a family affair de Sly and Family Stone… Cette chanson légère des années ’60 a presque réussi à m’achever. À mon avis, si le spectateur a tenu l’intérêt jusque-là, il décroche à coup sûr en entendant ce vieux hit.
Un choix aussi questionnable est celui de la langue. En français avec la grand-mère (Angèle Coutu) mais aussitôt en anglais avec Béatrice Beauchamp (Tania Kontoyanni).
Les effets de duplicité sont réussis; il nous faut attendre le générique pour le reconnaître en constatant que Félix-Antoine Duval joue deux rôles.
Somme toute, ce film fonctionne, malgré tout, avec plusieurs raccourcis inexpliqués et un manque de crédibilité dans son scénario; le désir et l’attirance sont traités avec maladresse. Je suis porté à croire que le réalisateur a projeté ses valeurs de désorientation sexuelles dans ce film. Peut-on parler d’une œuvre trop personnelle?
Une chose est sûre, on est encore une fois en présence d’un passé religieux non réglé.
6.5/10
Bande-annonce
Titre original : Saint-Narcisse
Durée : 106 minutes
Année : 2020
Pays : Canada (Québec)
Réalisateur : Bruce LaBruce
Scénario : Martin Girard et Bruce LaBruce
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