« — I’m just being a man.
— Well be a fucking hero. Rise above it. »
[— Je suis juste un homme.
— Hé ben, sois un putain de héros. Élève-toi!]
Mandy (Billie Piper) est une femme moderne en crise. Élevant un fils, Larch (Toby Woolf) au milieu d’une révolution féminine. Minant la douleur de la séparation de ses parents et écrivant professionnellement sur un amour qui n’existe plus, elle tombe sur un homme troublé, Pete (Leo Bill), qui est à la recherche d’un sentiment de valeur, d’appartenance et d’identité masculine restaurée.
Pour son premier film à titre de réalisatrice, Billie Piper frappe fort. Avec Rare Beasts, elle offre une anti-rom-com (anti-comédie romantique) sur Mandy, une mère célibataire et moderne axée sur la carrière, qui tombe amoureuse du charmant et traditionaliste Pete. Un film grinçant qui en choquera plusieurs.
Mandy et Pete ne sont pas toujours sympathiques. En fait, par moments, on les déteste. Et par moments, on les aime. Mais ils ont tout de l’anti-héros.
Dans Rare Beast, tout le monde est au bout du rouleau. Même les personnages secondaires. Même ceux qu’on ne voit qu’une ou deux fois. Les subtilités qui rendent les humains supportables ont complètement disparu, le « small talk » aussi. Lorsque vous vivez le nihilisme — le cynisme — le désespoir, votre vision du monde n’est pas nécessairement telle qu’il est, mais plutôt la projection que vous en faites. Ici, celle de Mandy, une mère, une écrivaine, une nihiliste.
« I wanted all the characters to speak frankly. I have known people in my life like this. If you’re from a working class background, there is a brutal short hand, so this language doesn’t feel unfamiliar to me. In terms of Mandy and Pete — Mandy is a confused feminist, whenever she tries to take control and support the cause it’s always with a very confused approach. For example, in the opening scene Mandy addresses #metoo in a clumsy assertive way. This may shock the audience but further proves my point that we, as women, can’t say certain things any more that aren’t seen to be ‘cause appropriate’ which to me feels oppressive. » [Je voulais que tous les personnages parlent franchement. J’ai connu des gens dans ma vie comme ça. Si vous venez d’un milieu ouvrier, il y a un raccourci brutal, donc cette langue ne me semble pas étrangère. En ce qui concerne Mandy et Pete — Mandy est une féministe confuse, chaque fois qu’elle essaie de prendre le contrôle et de soutenir la cause, c’est toujours avec une approche très confuse. Par exemple, dans la scène d’ouverture, Mandy s’adresse au #metoo d’une manière affirmée et maladroite. Cela peut choquer le public, mais cela prouve encore plus mon point de vue selon lequel nous, en tant que femmes, ne pouvons plus dire certaines choses qui ne sont pas considérées comme « appropriées pour la cause », ce qui me semble oppressant.]
Une séquence magnifique est celle où, au travail, Mandy provoque un tollé en montant une émission sur une femme âgée, brisée, qui s’apprête à se suicider : « This is Beyonce. And this is her suicide note. » [C’est Beyoncé. Et voici sa note de suicide.] Elle perd évidemment son boulot.
Rare Beasts, c’est l’histoire d’amour sombre, drôle et ratée de Mandy et Pete. Le film commence dès leur premier rendez-vous. Mandy est un peu défoncée, agissant souvent par impulsion en compagnie de Pete. Pete, lui, a un franc-parler, et est un homme remettant en question l’idée de la femme moderne, considérant les femmes comme des hypocrites voulant avoir le beurre et l’argent du beurre, mais il encourage l’indulgence et l’autosatisfaction. Il admire la dévotion et le désir ardent dans une relation, croit au caractère sacré du mariage et plus surprenant encore, en Dieu. Et il ne se gêne pas pour le garrocher en pleine face à Mandy. Elle, ne croit en aucun des deux, mais trouve son honnêteté rafraîchissante. Il prédit qu’ils se marieront dans un an. Inutile de perdre du temps et de « faire une hémorragie de jeunesse ».
À travers ce comportement violent entre les deux personnages, on retrouve une profonde critique de la vie actuelle et de l’hypocrisie ambiante en société. D’ailleurs, quand on regarde ces deux personnages, on se demande bien ce qu’ils font ensemble. Et pourtant… Piper explique à merveille pourquoi ses deux personnages sont tragiquement réalistes : « Some people will think, ‘Why is this woman going anywhere near him?’ The truth is we make really peculiar choices in life. And they are based on our lives as a child, that can totally inform where you go romantically. Sometimes people make really fucked up choices. » [Certaines personnes penseront : « Pourquoi cette femme s’approche-t-elle de lui? » La vérité est que nous faisons des choix vraiment particuliers dans la vie. Et ils sont basés sur nos vies d’enfant, qui peuvent totalement indiquer où vous allez romantiquement. Parfois, les gens font vraiment des choix de merde.]
Elle s’en prend aussi à la lourdeur qui pèse sur les épaules d’une femme dite moderne. Elle s’attaque à ce qu’on pourrait comparer aux vues du mouvement woke. À l’approche de la quarantaine, et toujours dans un cul de sac, Mandy a beaucoup de difficulté à coupler féminisme et dureté de la vie. Être une femme, se tenir debout pour ne pas accepter les positions anti-féministes et trouver sa place dans le monde semblent parfois impossible à mélanger. À quelques reprises, Piper insère des scènes dans lesquelles Mandy marche dans la rue. On entend les pensées des femmes qu’elle croise et on les voit se tapoter les tempes. C’est un style de thérapie appelé « tapotement » ou EFT. Vous exploitez vos méridiens d’énergie tout en utilisant des affirmations positives. La réalisatrice exploite le concept avec justesse en créant un genre de chœur féminin pour illustrer la crise que peuvent vivre les femmes. Ce n’est pas seulement l’expérience de Mandy, mais une dépression partagée par la réalisatrice.
Mais là où la réalisatrice (et scénariste) montre toute son intelligence, c’est en intégrant aussi les inquiétudes masculines. Elle utilise le fils de Mandy, qui a 7 ans. Le défi auquel fait face le personnage est de trouver comment élever un garçon dans ce monde où on dit constamment aux hommes qu’ils sont un problème.
Il y a aussi les scènes au travail. La femme siège à des réunions de développement de films, témoin de l’exploration grossière des « questions de genre » par des hommes et des femmes qui tentent désespérément de rester pertinents et employés. À un autre moment, le chœur féminin revient et chahute Pete – le lâche, le bâtard, l’homme, puis, ils s’en prennent à Mandy alors qu’elle admet enfin qu’elle veut une vie facile, une journée de cinq heures et un mec sympa. Les pensées interdites d’une femme moderne sont mises à nu pour que nous puissions tous y réfléchir.
Finalement, le premier long métrage de Piper est un film sur les craintes, les peurs et les appréhensions d’une femme qui doit trouver sa place dans ce monde en constant changement. Je veux parler d’une dernière scène. Le couple est à la maison, et se prépare à baiser. Les préliminaires de Mandy impliquent un strip-tease maladroit pour Pete, alors qu’elle présente ses défauts physiques, un par un, avant de pouvoir se détendre suffisamment pour qu’ils puissent avoir une relation sexuelle. Une scène qui fait rire au début, puis qui cause un profond malaise.
Rare Beasts est une comédie noire qui dérange. Un film dans lequel beaucoup d’hommes et de femmes se retrouveront, mais n’oseront pas le dire. Et comme je suis très inspiré, je vais terminer mon texte avec la même phrase sur lequel se termine le film. Ça vous donnera une idée du ton.
The FUCKING END
Note : 8.5/10
Bande-annonce
Titre original : Rare Beasts
Durée : 87 minutes
Année : 2019
Pays : Royaume-Uni
Réalisateur : Billie Piper
Scénario : Billie Piper
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