Annette — Quand le spectateur devient témoin du naufrage de leur amour

« Annette, mon Annette, ne plonge jamais tes yeux vers l’abîme. »

Annette - afficheLos Angeles, de nos jours. Henry (Adam Driver) est un comédien de stand-up à l’humour féroce. Ann (Marion Cotillard), une cantatrice de renommée internationale. Ensemble, sous le feu des projecteurs, ils forment un couple épanoui et glamour. La naissance de leur premier enfant, Annette, une fillette mystérieuse au destin exceptionnel, va bouleverser leur vie.

La qualité avant la quantité

La sortie d’un film de Leos Carax est toujours un événement très attendu pour les cinéphiles. Après seulement cinq œuvres en trente-sept ans, l’enfant terrible du cinéma français s’offre le luxe d’ouvrir la compétition officielle du 74e Festival de Cannes avec son sixième film : Annette, qui a suscité des commentaires tantôt passionnés et admiratifs tantôt mitigés et hostiles de la part des critiques. Un peu comme Holy Motors sorti neuf ans plus tôt, le cinéaste met en scène la mise en scène elle-même en incitant le spectateur à accepter les artifices du cinéma. Holy Motors, sous ses formes très abstraites, incarne une belle métaphore sur le métier d’acteurs qui passent leur temps à cultiver l’art du faux. On y retrouve des symboliques très fortes que beaucoup de personnes n’ont pas réussi à déceler. Avec Annette, la trame narrative est beaucoup plus perceptible et elle renoue avec les grandes histoires d’amour du Carax des débuts. D’ailleurs, les jurys du Festival de Cannes lui ont attribué un prix pour la mise en scène.

Annette - Qualité avant quantité
Holy Motors

Ce scénario a été écrit par les frères Ron et Russell Mael, du groupe Sparks, qui signent également la magnifique trame sonore d’Annette. Encore là, pas tout à fait inconnu dans le cinéma Caraxien où l’on peut entendre dans Holy Motors par exemple, une des chansons du célèbre duo : How Are We Getting Home? Lors d’une séquence mettant déjà en scène les rapports familiaux tourmentés entre un père et sa fille.

Que reste-t-il de nos amours décomposés?

Retenir son souffle c’est un peu ce que l’on fait durant tout le déroulement du film. Suggéré par la voix de Leos Carax durant les premières minutes en nous demandant de ne faire aucun bruit durant l’histoire, un peu comme si nous étions dans un vrai théâtre et que notre respiration a un impact sur le jeu des comédien.nes. « Alors, je me suis mis à voir tout le film comme une métaphore de la respiration » confie Carax lors d’une entrevue.

Annette - Que reste-t-il de nos amours

 « L’inspiration, le souffle : vie et mort bien sûr, rire et chant, la femme qui doit bien respirer pour donner vie, le souffle qu’à certains moments on retient, dans la vie et au cinéma… Et la respiration comme rythme musical » poursuit Leos Carax lors de l’entretien.

Sous forme de véritable opéra rock aux allures de tragédie grecque et de mélodrame sensationnaliste nord-américain, Annette parle surtout d’amour à travers ses séquences chantées, mais aussi de crime, de deuil, de vengeance et de rédemption, de parentalité, de transmission, de difficultés à communiquer. Cependant, ce qu’il faut retenir au-delà de toutes ces thématiques, c’est avant tout la facticité d’une relation amoureuse, sa toxicité qui mène à la mort inéluctable. Entre le vrai et le faux, le réel et la fiction, Carax semble condamner ses personnages d’Henry (Adam Driver) qui est un monstre fascinant, réputé pour ses spectacles de stand up décapants, et d’Ann (Marion Cotillard), une fragile et bouleversante cantatrice à l’apogée de sa carrière. Deux personnalités à priori opposées autant dans l’image qu’elles renvoient au monde que de manière plus intime. Malgré tout, ils incarnent avec panache une union en constante dualité (Yin/Yang) bientôt rejointe par l’accompagnateur et chef d’orchestre (Simon Helberg) pour former un triangle amoureux dévastateur et déchirant. Je ne dévoilerais bien évidemment pas le mystère autour de la petite Annette, fruit de cet amour destructeur. Je vous en laisse un peu pour la « faim ».

Leos Carax nous précise : « Il y avait donc un double thème : l’opéra, la femme qui meurt sur scène avec grâce et en musique; et le stand-up, qui se nourrit du grotesque et de la provocation, au point de l’autodestruction parfois ».

Annette - fin

Ce qu’il faut bien se dire avec le cinéma de Leos Carax, c’est qu’il sera toujours capable, quelle que soit l’appréciation personnelle de chaque spectateur, de créer des émotions fortes (surprise, stupéfaction, réflexion), et de nous ouvrir une fenêtre sur des codes et des symboliques propres au 7e art, ce que nous devrions espérer de toute proposition cinématographique. Comme disait si bien un des personnages de Holy Motors : « On dit que la beauté réside dans l’œil de celui qui contemple ». Je vous laisse plonger et contempler le naufrage de cet amour, qui incarne pour moi, un véritable chef-d’œuvre.

Note : 8 /10

Bande-annonce

Fiche technique : 

Titre original : Annette
Durée : 140 min
Année : 2021
Pays : France
Réalisateur : Leos Carax
Scénario : Leos Carax, Russell Mael, Ron Mael

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