« Why does anybody help anybody? »
[Pourquoi quelqu’un aide-t-il quelqu’un?] »
– Smoke
Michigan, 1977. Lorsqu’un drame familial frappe l’adolescente de 15 ans Margo, la chasseuse passionnée prend la fuite en bateau sur le fleuve au bord duquel elle a grandi. Sa direction : sa mère, celle qui l’a abandonnée pour disparaître sans laisser de traces…
Premier long-métrage de la réalisatrice et musicienne américaine Haroula Rose, Once Upon a River est l’adaptation filmique du roman éponyme de Bonnie Jo Campbell, publié en 2011.
Le film s’ouvre sur le fleuve dans lequel Margo (Kenadi DelaCerna) se baigne et dont les rives elle parcourt. La première parole qui tombe ne se prononce pas, mais émane du monologue intérieur de la protagoniste féminine faisant la planche : « Mom always said she never belonged here with me and Daddy.… She had to go find herself, she said. And she couldn’t do that here » [Maman disait toujours qu’elle n’était pas à sa place, ici, avec moi et papa. … Elle devait s’en aller pour se trouver, disait-elle. Et elle ne pouvait pas le faire ici.] Le choix du lieu n’est certainement pas anodin étant donné que le fleuve semble être devenu, pour Margo, un substitut de mère, le retour aux eaux maternelles, un refuge. Ce monologue intérieur reste pratiquement le seul durant tout le film, laissant les motifs et les pensées de sa figure centrale presque complètement dans le noir. De même, la parole énoncée – surtout de Margo – est rarissime. On dirait que chez les gens simples aux États-Unis, on ne parle pas – ou plutôt : on laisse son fusil parler.
Qu’est-ce qui a provoqué le départ de la jeune femme? C’est la vieille histoire – les hommes. Pourtant, son père autochtone, Bernard, (Tatanka Means) fait tout pour lui permettre une vie stable. Seul avec sa fille depuis la disparition de sa femme, Bernard cesse de se donner à l’alcool, travaille des heures supplémentaires et initie Margo au legs de leurs ancêtres : la pêche, la chasse, la survie dans la nature sauvage.
Il n’est donc pas étonnant de voir la colère du père lorsqu’il surprend son enfant mineure se faire déflorer par son oncle. Est-ce un acte consensuel parce que Margo répond passionnément au premier baiser et n’offre aucun signe de défense? Ou est-ce un viol parce qu’un adulte, un parent en plus!, ne devrait jamais abuser de la curiosité sexuelle d’une mineure? La caméra ne nous épargne rien et je vous jure que cette scène m’a bouleversée plus que tous les meurtres sanguins dans The Boys. Sujette par la suite aux humiliations de la famille de l’oncle pervers (« Hey nympho! »), Margo se voit traitée comme une fille facile, une pute, « just like her mom » [tout comme sa mère], et se voit en plus confrontée à des énoncés racistes. Surmontée par ses émotions, qu’elle ne sait pas articuler, l’adolescente s’empare de son fusil et s’apprête à émasculer son oncle… mais ce sera son père qui se fera fusiller cette nuit-là.
Durant son odyssée, Margo doit se fier aux étrangers – et ce seront tous des hommes sur lesquels elle tombera dans ce paysage fluvial sublime. Des hommes qui offrent à cette fugueuse une place autour de leur feu de camp, dans leur voiture ou dans leurs maisons. Les plus jeunes parmi eux sont séduits par sa beauté silencieuse et l’ado n’hésite pas à explorer sa sexualité avec Will, enseignant d’origine autochtone. Mais une véritable amitié ne se développera qu’avec un vieillard ermite dont le surnom Smoke (« Fumée », excellent : John Ashton) témoigne de l’autodérision d’un homme gravement malade aux poumons. La tête appuyée, tel un chien fidèle, sur les genoux de ce dernier, Margo y trouve refuge après ses retrouvailles avec sa mère installée dans la grande maison toute blanche de son fiancé. Trop pure, semble-t-il, pour la jeune féroce habituée à vivre dehors, sans racines, sans normes.
Ce sera donc, ultimement, encore un homme qui l’accueillera. À l’époque des mouvements féministes du genre MeToo, on se pose la question à savoir pourquoi la réalisatrice – qui aurait pu changer l’intrigue donnée par le livre – a relégué les femmes au second plan. Serait-ce une manière de montrer la diversité des hommes, de mettre en évidence que tous ne sont pas des violeurs? Ou est-ce pour démontrer à quel point Margo appartient plus au masculin qu’au féminin? Ou est-ce simplement par fidélité au livre? Pour la réalisatrice, il était surtout important de montrer une femme à l’esprit Huck Finn, figure féminine faisant défaut dans l’histoire culturelle majoritairement masculine de son pays : « [I]t’s an homage to Annie Oakley and Huck Finn and all these typically masculine young men in our lore of America, but I had never seen it being a woman […]. I fell in love with that idea of this quiet but mysterious heroine. » [C’est un hommage à Annie Oakley et à Huck Finn et à tous ces jeunes hommes typiquement masculins dans notre histoire américaine, mais je n’y ai jamais vu de femme […]. Je suis tombée amoureuse de cette idée d’une héroïne silencieuse, mais mystérieuse.] (Saito 2019)
Si le titre Once Upon a River laisse anticiper un conte de fées, situé dans un passé et un endroit inconnus, il s’agit en vérité d’une histoire profondément imprégnée des États-Unis, notamment par l’usage abusif d’armes. Bien que certaines scènes semblent coupées de manière un peu maladroite, l’intrigue est captivante et la prestation des acteurs (surtout DelaCerna et Ashton) ainsi que les plans du paysage sont simplement hallucinants. À recommander pour en discuter après!
Note : 8/10
Bande-annonce
Titre original : Once Upon a River
Durée : 92 minutes
Année : 2020
Pays : États-Unis
Réalisateur : Haroula Rose
Scénario : Haroula Rose
Once Upon a River est présenté au festival Présence autochtone, le 4 août 2021 au Cinéma du Musée.
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