Le guide de la famille parfaite — Bienvenue au pays de la vie ordinaire

« Quand j’étais p’tit pis j’rentrais tard, bang! Cuillère de bois! J’étais impoli, bang! Cuillère de bois. Le Canadien perdait, bang! Cuillère de bois. » 

Guide-de-la-famille-parfaite-Affiche-27x39-2021-1920wMes sentiments sont ambivalents par rapport à l’œuvre de Ricardo Trogi.  Son premier long-métrage, le célébré Québec-Montréal (2002), m’avait un peu laissé sur ma faim. Si le film était certes amusant, il ne me semblait pas à la hauteur de sa réputation et de tous les prix qu’il a remportés. Les quatre histoires qui composent l’intrigue du film m’ont paru assez inégales et le scénario avait trop tendance à reposer sur des blagues de mononc’ faciles. Et le reste de la filmographie du réalisateur italo-québécois est, à mes yeux, toute aussi contrastée. 

Autant sa trilogie 1981-1987-1991 représente pour moi la quintessence du cinéma comique québécois — j’éprouve pour cette série de films la même affection que pour des classiques comme La guerre des tuques ou La grande séduction — et prouve que la comédie est un genre légitime, autant Horloge biologique (2007) et Le mirage (2015) m’apparaissent comme des ratages complets. Le Mirage est probablement le pire film québécois des dix dernières années, minimum. 

À vrai dire, Trogi, en lui-même, est un scénariste remarquable, doublé d’un réalisateur de talent. Sa trilogie le prouve. Son principal problème est qu’il s’associe à des auteurs médiocres, comme Patrice Robitaille — bon comédien, au demeurant — ou le chum de Véro, ce dernier étant le principal responsable du fiasco de 2015. Lorsque j’ai appris que Morissette tiendrait la vedette du Guide de la famille parfaite, en plus de cosigner le scénario, j’ai craint le pire. Devoir subir un autre film où le drame repose principalement sur les problèmes de graine et de portefeuille de Louis Morissette, en un calque bon marché d’American Beauty, était la dernière chose dont j’avais envie. La bande-annonce laissait présager un énième long-métrage sur la crise de la quarantaine, avec les clichés éculés qui caractérisent ce type de films. Alors? 

Verdict 

Une agréable surprise. Un peu à l’image de Québec-Montréal, cet opus de Trogi est certes imparfait et contrasté, mais fait rire de bon cœur. Le film constitue un divertissement très honnête, réalisé par un cinéaste en pleine maitrise de son art. À vrai dire, l’intrigue du film ne repose pas vraiment sur la crise de la quarantaine, mais bien sur le conflit des générations, incarné surtout par les tensions entre Martin, le protagoniste joué par Morissette, et sa fille Rose, interprétée par Émilie Bierre. Ces tensions intergénérationnelles donnent lieu à plusieurs scènes comiques extrêmement réussies. On pense notamment à la « graduation de maternelle » à laquelle Martin est forcé d’assister ou aux discussions absurdes entre le personnage principal et son employé – un millénial interprété avec brio par Jean-Carl Boucher – dont la philosophie sur le travail est, pour le dire euphémiquement, assez inhabituelle. On reconnait ici la marque de François Avard, qui taquine ma génération avec toujours autant d’aplomb et porte un regard moqueur sur le phénomène des « parents-hélicoptères ». 

Le guide de la famille parfaite - Verdict 1
Rose (Émilie Bierre)

Les gags fonctionnent, les dialogues coulent, le montage est fluide. Sur le plan de la comédie, le film remplit sa mission. Est-ce à dire que Le guide de la famille parfaite n’est qu’un long épisode de Like-moi ou des Beaux Malaises. C’est ce qu’on aurait pu craindre, mais ce n’est pas le cas. Fidèle à son habitude, Trogi, avec l’aide de ses scénaristes, teinte le comique du drame et offre des scènes de disputes marquantes, où la tension dans le jeu et dans la mise en scène atteint des sommets. La scène où Martin et Rose se disputent alors qu’ils sont en canot au milieu du lac représente un excellent exemple de ces scènes de chicanes frappantes. L’environnement est parfaitement utilisé, la montée dramatique fonctionne à la seconde près et chaque réplique fait mouche, on est devant un passage qui dépasse de loin la mise en scène limitée de la télévision. 

Cela dit, ma scène favorite du film est celle du jeu de société, où mon rire a d’abord été franc, puis jaune, pour finalement disparaitre. Bierre révèle tout son jeune talent d’actrice avec son jeu tout en révolte silencieuse et détresse difficilement contenue. Notons qu’Isabelle Guérard et même Louis Morissette n’ont rien à envier à la jeune femme, tant leur interprétation est juste. Trogi, décidément, dirige toujours aussi bien ses acteurs et prouve qu’il maitrise aussi bien le comique que le dramatique; l’émotion présente dans les scènes plus sombres mentionnées ci-haut est même plus forte que celle ressentie devant de nombreux drames québécois. L’image du film, parfaitement lisible et mêlant habilement les plans fixes avec des mouvements de caméra fluides, contribue à l’efficacité de l’ensemble. 

Le film évite par ailleurs l’erreur du Mirage, en adoptant une certaine distance critique par rapport à son protagoniste et ses actions. Dans Le Mirage, la quasi-majorité des scènes est dans la perspective du personnage principal antipathique, le spectateur est ainsi forcé d’adopter son regard sur les évènements et de subir son incapacité totale à se remettre en question. À vrai dire, l’intrigue du Mirage est conçue de manière à ce que les évènements ne viennent jamais ébranler réellement les convictions du protagoniste. Il n’a ainsi donc presque pas d’évolution psychologique. Le personnage a beau sodomiser une fille à peine majeure qui travaille pour lui et agresser la femme de son meilleur ami, le scénario insiste pour le présenter comme une simple victime des circonstances. Les gens autour de lui ne sont pas des êtres à part entière, juste les objets de sa damnation. La question du point de vue est importante au cinéma et écrire un film dans la perspective unique d’un personnage unidimensionnel – qui est, de surcroit, presque un ersatz de son créateur – témoigne d’un manque d’imagination assez effarant. Dieu merci, l’opus présent évite cette erreur. Les points de vue sont multiples et les personnages secondaires ont une existence indépendante du protagoniste. Une preuve supplémentaire, s’il en fallait, de l’intérêt d’écrire à plusieurs, surtout dans le cas d’une comédie.

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Martin (Louis Morissette) et Rose

Le Guide de la famille parfaite perd un peu d’efficacité vers la fin, en cela qu’il prend des accents un peu mélodramatiques. On prie pour le jour où l’on pourra voir des films mettant en scène des adolescents sans que les scénaristes se sentent obligés de recourir aux thèmes clichés du suicide, du danger des drogues et des notes d’école — Une colonie, Je crie ton nom —. La tentative de suicide de Rose est assez mal amenée. Peu d’adolescents vont ressentir l’envie de mourir s’ils sont laissés sans parents dans un condo de luxe du Mile-End, avec de l’alcool à volonté. C’est plutôt l’inverse. Le fait qu’elle ait échoué ses mathématiques ne change rien au manque de crédibilité de l’acte. D’autant qu’au Québec les maths de secondaire 5 ne sont pas nécessaires à l’obtention du DES, donc le fait qu’elle redouble ne change rien à la date de sa graduation, ni à son admission au cégep. Par ailleurs, une scène assez tendue entre Martin et sa conjointe – où elle se plaint d’être en « burnout familial », ne débouche sur rien, n’altère en rien le cours de l’histoire. On dirait presque que cette scène a été oubliée, sitôt finie, dans la progression du récit. Heureusement, les deux ou trois dernières scènes du film sont touchantes et permettent de bien terminer le visionnement. L’atterrissage est réussi, comme on dit. Les fans de Trogi ne devraient pas manquer ce film. 

Note : 6/10 

Bande-annonce

Fiche technique :

Titre original : Le guide de la famille parfaite
Durée : 102 minutes
Année : 2021
Pays : Canada (Québec)
Réalisateur : Ricardo Trogi
Scénario : François Avard, Jean-François Léger et Louis Morissette

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