[Hot Docs] Apart

« J’ai grandi avec de la drogue autour de moi. Tout le monde était dealer ou consommateur de drogue et avait fait de la prison. J’étais destinée pour ça. De me retrouver ici »
Amanda, détenue dans une prison américaine dans Apart

Nous poursuivons encore avec le Hot Docs qui décidément a réservé de bien belles surprises! Je vous parlais il y a quelques jours du choc provoqué par la découverte de Life of Ivanna : une immersion impressionnante en cinéma direct dans une famille Nenets vivant dans la toundra russe. Depuis, j’ai vu d’autres documentaires de la sélection, suffisamment beaux et bouleversants pour vous en dire quelques mots.

L’addiction à l’alcool et à la drogue, la misère sociale et affective, avec leurs effets ricochets inéluctables sur la cellule familiale, seraient les dénominateurs communs des films que je vais vous présenter. S’ils arborent des formes très différentes, le déchirement, le déracinement, les déterminismes sociaux, l’influence du milieu de vie, traversent de bout en bout la chair de ces films. Ils vous emmènent dans des batailles individuelles et collectives, avec une sensibilité humaine mise à rude épreuve : la recherche de la rédemption pour ces femmes emprisonnées dans Apart (dans les lignes qui suivent), la recherche d’un havre de paix pour cette mère et ses enfants prisonniers du froid polaire dans Life of Ivanna (que vous pourrez lire demain) et la recherche d’une harmonie communautaire dans Kímmapiiyipitssini : The Meaning of Empathy (à lire aussi demain).

Vous devriez vibrer à la vision de ces documentaires, être sans doute contrarié face au spectacle de l’injustice et de situations instables, mais assurément être happé par l’espoir et la dignité qui demeurent même dans un monde inhospitalier.

Apart – 3 mères. 4 enfants. 18 ans de prison

« Depuis la crise des opiacés, le taux d’incarcération des femmes a augmenté de 800% aux États-Unis. 80% sont des mères ».

Apart - posterQuand le film s’ouvre sur cet intertitre, il est impossible de mesurer la portée de ces chiffres sur les vies humaines. La réalisatrice Jennifer Redfearn nous embarque dans l’envers du décor d’une prison pour femmes. Sur plus de trois ans, jusqu’à leur sortie, elle va suivre trois jeunes détenues alors qu’elles purgent de longues peines. Leur point commun, elles sont toutes mères de jeunes enfants et la prison les a forcément séparées de leur progéniture. Voir grandir un enfant par l’intermédiaire d’un écran de vidéoconférence ou lors d’une visite annuelle laisse des dégâts au fil des années. Privés de liberté individuelle et de lien familial, mères et enfants souffrent en silence sans avoir l’occasion de construire une histoire commune et une relation intime dans un espace confiné que constitue un établissement pénitentiaire.

La caméra de Jennifer Redfearn est presque anthropomorphique en ce qu’elle parvient à créer ce lien inexistant entre ces mères et leurs progénitures par le truchement de confidences et de scènes intimes filmées lors de rares réunions familiales. Filmer l’absence, matérialiser le vide affectif et la distance au sein d’une famille déchirée, c’est le point de vue original que propose Redfearn.

Amanda, Lydia et Tomika sont trois jeunes femmes rongées par l’impatience de sortir de prison, exacerbée par un amour maternel inassouvi qui ne peut s’exprimer que par la frustration ou le chagrin. Leurs trajets évoquent un déterminisme social, malheureux, où ayant grandi dans l’univers de la drogue, elles ont suivi « logiquement » leurs modèles : des parents déviants et intoxiqués. La suite vous pouvez la deviner : vol, vente et consommation de drogues; et des sentences qui apparaissent trop sévères pour assurer une réhabilitation dans de bonnes conditions dans la société et dans leurs familles.  La cinéaste mélange ces trois parcours de femmes qui fréquentent la même prison et se côtoient lors d’un programme dont l’objectif est de maximiser leurs chances de se réinsérer sur le marché du travail.

Tomika et Amanda dans la cour de la prison
Tomika et Amanda dans la cour de la prison

Le début du film n’est pas le plus réussi formellement lorsqu’à coup de musique larmoyante, alourdie par des commentaires des protagonistes, défilent des photos et des images d’archives familiales. Cette artillerie émotionnelle paraît davantage pesante avec des entretiens filmés face à la caméra. Heureusement, après ce premier quart du film, la cinéaste parvient plus ou moins à contenir ces effets de docu-soap en misant sur le réel et des interactions faisant jaillir un peu de vérité humaine. Il faut voir cette longue scène où Amanda est libérée après presque 10 ans de prison : pas de coupure, un plan-séquence, la caméra la suit du lieu confiné vers l’extérieur. Le réel transperce ces images en vibrant avec la jeune femme dont la vie est en train de changer littéralement sous nos yeux.

Si Apart joue parfois avec le feu, avec un dispositif de montage lourd, il est également capable du meilleur cinématographiquement. Film puissant pour générer des débats de société après la projection, il aborde l’après sortie de prison sans happy end, avec un certain discernement qu’il faut souligner sur le parcours de femmes brisées par la vie et l’enfermement, cherchant leur rédemption et leur place dans une famille et une société qui ont changé et qui ne veulent pas forcément d’elles.

Note : 7 /10

Bande-annonce

Fiche technique :

Titre original : Apart
Année : 2020
Pays : USA
Durée : 85 minutes
Réalisation : Jennifer Redfearn

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

© 2023 Le petit septième