« Plus de 200 films à voir, le Petit Septième vous aide à faire votre sélection ! »
S’il fallait présenter Hot Docs, le plus grand festival dédié au documentaire d’Amérique du Nord, par où commencer? Fondé en 1993 à Toronto, il est devenu au fil des années un des rendez-vous cinématographiques à ne pas manquer. L’annonce du programme est attendue par les cinéphiles et les professionnels du secteur avec impatience, le cœur palpite et la tension monte pour les distributeurs et les vendeurs internationaux d’apprendre si leur film a été sélectionné ou non par le prestigieux festival. Ne soyez pas surpris de voir dans la sélection de nombreuses premières mondiales ou nationales!
Pourquoi cette appétence? D’abord, les gains ne sont pas négligeables : Hot Docs annonce sur son site Internet que la somme rondelette de 182 000 $ est à partager en 2021 entre les gagnants des diverses récompenses attribuées par les jurys du festival. Ensuite, il faut savoir que le Hot Docs est un véritable tremplin vers les Oscars pour les films sélectionnés dans les compétitions Canadian Spectrum et International Spectrum. En effet, les lauréats du Prix du meilleur long métrage documentaire international, du Prix du public et du Prix du meilleur court métrage documentaire canadien et international se qualifieront dans la course pour l’Oscar du meilleur long métrage documentaire et l’Oscar du meilleur court métrage documentaire. La pression n’a pas fini de monter : les jurys annonceront les résultats le 7 mai en live, à 19h précise.
Mais que réserve le cru 2021?
Le festival torontois a dévoilé un corpus d’environ 200 titres qui nous viennent du Canada et des quatre coins du globe. En raison de la pandémie, les salles de cinéma sont toujours fermées à Toronto, par conséquent il n’est possible de suivre le festival qu’en ligne. L’équipe du Hot Docs a réussi à négocier avec les cinéastes et les distributeurs la possibilité de visionner les films dans tout le Canada, ouvrant alors le festival à des publics et territoires qui, à l’habitude, n’étaient pas touchés.
Vous avez donc jusqu’au 9 mai pour voir les 200 films qui sont classés dans 13 sections, dont les deux compétitions évoquées plus haut. Pour guider le public dans ses choix, car à l’évidence il sera difficile de tout voir, le festival a également prévu une navigation par sujet traité, qui donne bien envie : Enfants et Jeunesse, Écologie et Environnement, Éducation, Activisme, Addiction et Santé mentale, Culture canadienne et problèmes, Femmes et Histoires de femmes, Art et Design, Capitalisme et grandes entreprises …
Les valeurs d’engagement et d’équité traversent les thématiques de la programmation et rappellent, au passage, qu’au-delà de la crise sanitaire actuelle d’autres problèmes structurels existent ou persistent. À l’évidence, lorsque la pandémie sera terminée nous devrions retrouver, assurément avec une certaine gueule de bois, le monde tel que nous l’avons laissé avant la covid : instable, inégal, sécuritaire, en souffrance ici, en beauté ailleurs, avec des défis environnementaux et sociaux majeurs. Il paraît au combien important en ces temps endormis dus à la pandémie que l’art continue de faire son travail en soufflant vigoureusement un vent salvateur sur nos écrans, en racontant des histoires, nos histoires en proie à des difficultés et à des défis individuels ou collectifs. Sombrer, se relever, se dépasser, apprendre, changer, aimer, regretter, espérer et partager, c’est finalement le cycle de la vie, en dent de scie, qui se donne à voir ici dans le documentaire de création. Les artistes veillent, sont aux aguets, humanistes et solidaires, et tentent tout simplement de participer aux débats de société pour améliorer les choses.
Si les artistes veillent, Hot Docs également! Le festival a conçu un programme de courts métrages plutôt novateur : Citizen Minutes. Clin d’œil sans doute à la série Heritage Minutes (Minutes du Patrimoine) ?
Le projet vise à célébrer le vivre ensemble et l’esprit civique avec des histoires de Canadiens et de Canadiennes ordinaires qui agissent de manière extraordinaire pour le bien de leurs communautés. On peut espérer que le projet sera renouvelé afin de constituer une unique collection s’enrichissant d’année en année sur ces personnes qui changent nos vies.
Le programme, visible gratuitement depuis la section Special Events, est composé de 8 courts métrages et dure au total un peu moins d’une heure. Si cela se croque sans faim, il faut le dire : certains courts sont plus réussis que d’autres. Les films qui s’en sortent le mieux sont ceux qui délaissent ou contournent la forme trop classique du portrait, en s’aventurant sur des chemins sensibles, ludiques et poétiques.
L’écrivain et responsable communautaire Dave Meslin pense que les avis publics tels qu’ils sont conçus nuisent à notre démocratie — et il demande à des graphistes de montrer ce qui nous échappe.
Le programme débute avec un trois minutes amusant et plutôt réussi. Qui a déjà trouvé des avis publics de construction ou de déviation attractifs? Le design de ces documents, qui affectent notre quotidien, repousse tellement qu’ils sont faits pour ne pas être lus. C’est ce qu’avancent les graphistes interrogés dans le film, à coup d’exposés et de preuves par l’image. Ce manque cruel de communication ne caractérise-t-il pas d’ailleurs le lien symbolique qu’entretiennent les pouvoirs publics avec les citoyens? Pied de nez à cette communication catastrophique et condescendante, le film va jusqu’à refaire le design d’un avis public pour le rendre attirant pour le public. Acte civique ou geste dadaïste?
Note : 7/10
Titre original : Excluded by Design
Durée : 3 minutes
Année : 2021
Pays : Canada
Réalisation : Simon Madore et Gabriel Tougas
Scénario : Chaz Beaudette
En 2007, le Centre Lasallien a ouvert ses portes à St-Michel, l’un des arrondissements les plus défavorisés de l’île de Montréal. Son directeur, Paul Evra, a grandi là-bas et a trouvé sa vocation en accompagnant la mission de l’organisme communautaire à nourrir les nombreuses familles dans le besoin.
Le film s’ouvre sur cet intertitre :
« Saint Léonard – St Michel au Québec est la 16ème ville au Canada où le taux de pauvreté infantile est le plus élevé »
Seul film du programme qui se déroule au Québec, le film prend le contour d’un reportage télé sur le plan formel en combinant entretiens filmés et scènes sur le vif. Malgré ce formalisme académique, Nourrir les Rêves se relève un beau portrait sur ce cadre dynamique et altruiste qui se heurte à la pauvreté et n’hésite pas à retrousser ses manches en préparant les paniers-repas et les livrant à domicile tout en créant du lien social.
Note : 6/10
Titre original : Nourrir les Rêves
Durée : 6 minutes
Année : 2021
Pays : Canada
Réalisation : Kimberley Ann Surin et Aïcha Morin-Baldé
Scénario : Kimberley Ann Surin et Aïcha Morin-Baldé
Un portrait de l’activiste chevronnée et conseillère municipale de Vancouver, Jean Swanson, alors qu’elle travaille aux côtés de la nouvelle génération de militants luttant contre la pauvreté, le mal-logement et les inégalités systémiques.
Jean Swanson a commencé sa carrière de militante dans les années 1970 contre un projet de pipeline. De combat en combat, il finira par entrée après plusieurs échecs dans les cercles de pouvoir de la ville de Vancouver. Elle a la sagesse et l’humilité de nous dire :
« J’ai été impliquée dans beaucoup d’actions qui n’ont pas été couronnées de succès. »
Constitué d’entretiens en studio de Jean Swanson et de jeunes militants influencés par son charisme et son panache médiatique, le film pourrait manquer parfois de créativité formelle, mais, heureusement, utilise la force des archives audiovisuelles pour illustrer le parcours exceptionnel et les batailles de cette femme bouillonnante durant plus de 40 ans.
Note : 7/10
Titre original : Jean Swanson: We Need a New Map
Durée : 7 minutes
Année : 2021
Pays : Canada
Réalisation : Teresa Alfeld
Scénario : Teresa Alfeld
Shamso Mohamoud et Shamso Elmi ont toutes deux perdu leurs fils à la suite de violences et ont vu leurs assassins présumés s’en sortir sans aucune poursuite judiciaire. Les deux mères Somaliennes Canadiennes ont alors créé le collectif « Mending a Crack in the Sky » afin de combattre la violence armée et les troubles associés tout en faisant face à des barrières culturelles et ethniques.
La mise en scène un peu statique associée à un montage pas suffisamment inventif empêche d’être à la hauteur de ces deux femmes attachantes dont le combat contre les préjugés et la capacité de rassembler pour protéger leur communauté sont exemplaires.
Note : 5/10
Titre original : Mending a Crack in the Sky
Durée : 8 minutes
Année : 2021
Pays : Canada
Réalisation : Roble Issa et Zach Jama
Scénario : Roble Issa et Zach Jama
Native d’une petite ville du nord-ouest de l’Ontario, la narratrice réalisatrice raconte le jour qui a changé sa vie lorsque, alors petite fille, elle trouve dans la rue un dollar, et sur le conseil de son père, le donne à une personne dans le besoin. Mais avant ce geste de charité, la petite fille partage avec son père ses doutes et préjugés, désignant avec médisance un groupe de sans-abris. Le père saute alors sur l’occasion pour transmettre à sa fille des valeurs humanistes.
« Ce ne sont pas des « clochards ». Ce sont des personnes qui font face à beaucoup de problèmes et au racisme. »
À ce moment précis, la petite fille change de regard et soudainement le monde change à ses yeux : elle deviendra par la suite une femme qui s’impliquera dans sa communauté pour aider les siens.
Voici un 3 minutes incroyable : sur la voix envoûtante de la narratrice, c’est un film d’animation constitué de collages et de dessins animés réalisés de manière artisanale. Sensible, ludique et poétique à la fois, The Gift est un petit bijou en forme de fable.
Note : 8/10
Titre original : The Gift
Durée : 3 minutes
Année : 2021
Pays : Canada
Réalisation : Rachel Garrick
Scénario : Rachel Garrick
Dans un monde obnubilé par l’image, la docteure Jill Andrew, éducatrice, activiste et excentrique, est devenue la première personne noire homosexuelle élue à l’Assemblée législative de l’Ontario. Depuis, à travers son mandat politique, elle partage ses valeurs et son combat pour la justice, les droits de la personne et l’équité.
Body Politics s’avère un beau portrait réalisé par la compagne de Jill Andrew. Il nous transporte des archives audiovisuelles avec des prises de parole dans un contexte officiel vers des scènes intimes filmées dans le domicile ou dans le bureau de l’élue. Pétillante et charismatique en public, elle partage en privé ses doutes sur la portée de ses actions. Avec un montage brillant et inventif, incrustant à l’image des extraits de discours engagés, le film place la communication au centre de son dispositif. Cela tombe bien pour un portrait sur une communicante, néanmoins conçu par sa partenaire qui l’admire, l’exercice pourrait montrer quelques limites dans la distance et l’impartialité de la cinéaste. Cela étant dit, Jill Andrew semble être une femme extraordinaire!
Note : 7/10
Titre original : Body Politics
Durée : 8 minutes
Année : 2021
Pays : Canada
Réalisation : Aisha Fairclough
Scénario : Aisha Fairclough
Trois responsables communautaires intrépides, consacrant leur vie à combattre les grandes entreprises technologiques, se lancent dans une lutte politique pour réglementer Uber et Lyft à Toronto afin que ces entreprises fonctionnent dans l’intérêt public et dans le respect des communautés.
On apprend au détour de ce film que Uber fait perdre rien que 74M$ par an au TTC, l’agence chargée des transports en commun de la ville de Toronto. Ce manque à gagner n’est bien sûr pas redistribué et les VTC (voiture de transport avec chauffeur) apportent en plus son lot de congestion dans la ville.
Avec un montage très formalisé constitué d’entretiens figés et d’images illustratives, le sujet tel qui l’est traité apparait moins convaincant que les autres films du programme. Si l’invasion dans nos vies de la technologie High Tech est un fléau actuel et prive assurément les villes de lien social, on aurait apprécié un ton plus ludique et créatif dans Ride Fair.
Note : 5/10
Titre original : Ride Fair
Durée : 7 minutes
Année : 2021
Pays : Canada
Réalisation : Javier Lovera
Colombie-Britannique, début des années 1970. Pour arriver à l’heure en classe, les enfants habitant dans un logement social n’avaient pas d’autre choix de traverser les voies ferrées et zigzaguer entre les passages de trains. Après des mois de pétition pour un passage à niveau sécuritaire, un collectif de mères fait enfin entendre sa voix en bloquant les rails et la livraison des marchandises.
La réalisatrice retrouve la cheffe de file de ce collectif qui nous confie alors qu’elle regarde une photo d’elle prise par un Polaroid :
« J’avais l’air innocente, incroyablement innocente. Mais j’étais engagée! »
Assurément, elle l’était. Son engagement pour sa communauté a débuté lorsqu’elle s’est rendu compte qu’elle était victime de discrimination en raison de sa couleur de peau et d’être mère célibataire. Avec son collectif, elle envoie d’abord une demande à la municipalité qui est sans effet. La colère monte, le blocage des rails a lieu et petit à petit cet acte de rébellion a un retentissement et est suivi d’effets.
Militant Mother est une vraie réussite. En 8 minutes, le film arrive à dresser le portrait de cette vieille dame à la fois simple et hors du commun, enrichi par une immersion dans les luttes des années 1970 grâce à des images d’archives de ces femmes qui bloquent les trains et sont interviewées par des journalistes. Ce travail de recherche archivistique apporte une force émotionnelle et le film s’achève dans un final poétique lorsque sur la passerelle qui a été construite au-dessus des rails des enfants, aujourd’hui, courir innocemment. Une ode à la liberté et presque un manifeste pour la désobéissance civile!
Note : 8/10
Titre original : Militant Mother
Durée : 8 minutes
Année : 2021
Pays : Canada
Réalisation : Carmen Pollard
Scénario : Carmen Pollard
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Nous reviendrons très vite vous présenter d’autres films que nous aurons eu l’occasion de voir et aimer. De mon côté, je vous parlerai notamment de Life of Ivanna : une pépite à découvrir absolument! À suivre donc!
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