« Il était à la recherche de l’Utopie sur Terre. Un endroit où tout le monde pouvait être heureux. »
– Mira Burt-Wintonick parlant de son père, Peter Wintonick
Mira Burt-Wintonick fait la découverte d’une boîte contenant 300 bandes vidéo mystérieusement dissimulées par son père, le documentariste canadien Peter Wintonick. La boîte porte le nom « Utopia » : projet qu’il n’a pas réussi à achever avant sa mort. Avec le documentaire Wintopia, elle tente de déchiffrer ce projet énigmatique dans un voyage au cœur des images laissées par son père et des films de famille. Courez voir Wintopia à la Cinémathèque québécoise (la réalisatrice y présentera son film ce 29 mars) et au Cinéma du Musée à Montréal!
Après avoir été sélectionné par les RIDM lors de son édition en ligne en 2020, Wintopia de Mira Burt-Wintonick, production canadienne de l’ONF et de EyeSteelFilm, poursuit heureusement son chemin dans les salles obscures qui nous ont tant manqué. Ces derniers mois, nous n’avons jamais vu autant de films en streaming, les plateformes ont surgi de partout, augurant depuis notre confortable salon une fausse image d’un secteur en pleine santé. Pourtant, l’écosystème et la chaine alimentaire du cinéma ont été bouleversés du fait d’un maillon manquant : la salle de cinéma, cette première fenêtre de diffusion instaurée dès les balbutiements du septième art lors d’une séance à la fin de l’année 1895 à Paris. La pandémie a provoqué de ce fait une fragilisation de la chronologie des médias et donc de l’économie du cinéma, entrainant une incertitude dans le secteur et une longue file d’attente de films attendant plus ou moins patiemment leur sortie « véritable ».
Si les yeux commencent maintenant à être rivés sur les comportements des spectateurs après la crise sanitaire (vont-ils retourner en salle comme avant?), il faudrait toujours se rappeler des mots de François Truffaut, désuets et utopiques pour certains, mais empreints d’une insolente modernité :
« Je n’aimerais pas voir un film pour la première fois en vidéo ou à la télévision. On voit d’abord un film en salle. Cinéma et vidéo c’est effectivement la différence entre un livre qu’on lit et un livre qu’on consulte. »
Le titre du film, Wintopia, est un savoureux jeu de mots entre Wintonick et Utopia, nom du projet inachevé de Peter Wintonick qu’il a immortalisé sur des bandes vidéo tout en parcourant le monde.
« Wintopia est un film très personnel sur l’espoir et le chagrin, sur une fille qui essaie de connaître son père à travers les images qu’il a laissées derrière lui. C’est également un film qui, je l’espère, donnera envie aux gens de plonger dans la riche filmographie de Peter, qu’ils connaissent déjà son travail ou qu’ils le découvrent pour la première fois. »
– Mira Burt-Wintonick (sur Tënk.ca)
Ces bandes vidéo poussiéreuses retrouvées par hasard chez son père s’avèrent un patrimoine familial et culturel impressionnant et, au-delà, questionnent leur utilisation et réappropriation en vue d’une mise en valeur. Mira Burt-Wintonick a visionné cette matière brute, non montée, dont le sens et la finalité demeurent encore plus énigmatiques après la découverte d’un livre sur Saint Brendan, le saint du voyage. La présence de cet ouvrage à côté de la boite contenant les cassettes vidéo n’est bien sûr pas anodine de la part de Peter Wintonick qui a placé malicieusement un indice. Il a laissé par ailleurs quelques instructions illisibles qui n’ont pas pu aider sa fille à terminer son projet. La voici donc seule face à ces heures d’images animées.
Prenant une posture de narratrice, Mira Burt-Wintonick tente alors de déchiffrer le projet de film de son père. Elle nous propose un voyage au cœur de ces bandes vidéo, de ces archives audiovisuelles qui prennent la forme d’un récit anecdotique presque autobiographique des explorations et des voyages de son père. Il filme des conflits sociaux, des actions militantes, ainsi que ses interactions avec des locaux ou ses mains toucher les éléments de la nature. Il se met parfois en scène pour parler des lieux dans lesquels il se trouve. Le mot « Utopia » y revient souvent dans sa bouche.
Peter Wintonick a ainsi passé 15 ans de sa vie à enrichir sa banque d’images Utopia. Ce projet apparait comme le pari fou d’un homme qui aimait et croyait en l’humanité, en sa diversité, en ses trésors naturels (un arbre en Écosse est décrit comme l’être vivant le plus vieux du monde) et culturels laissés par les êtres humains. A la recherche du Graal, cette quête sans fin dans le patrimoine universel est empreinte de poésie et questionne aussi la place de l’artiste tiraillé entre ses projets inachevés ou non financés (comme ce fut le cas, on l’apprendra dans le film, du projet Utopia) et son propre engagement et devoir en qualité de citoyen cinéaste.
« Un cinéaste doit être davantage impliqué et responsable socialement, en tant qu’individu pouvant braquer un peu de lumière dans les coins sombres du monde, » a dit Peter Wintonick.
Disparu prématurément en 2013, le film est un travail de mémoire sur l’héritage laissé par Peter Wintonick, documentariste touche-à-tout, qui a influencé beaucoup d’artistes dans l’industrie du film, avec des films tels que Chomsky, les médias et les illusions nécessaires (1992).
Film d’archives très bien monté, Wintopia collectionne les sources archivistiques et les formats de film et de vidéo amateurs. C’est un voyage dans les mutations technologiques de ces 40 dernières années. La cinéaste mêle aux images tournées en vidéo numérique de son père, des photos et des films de famille de sa propre famille en super 8, ainsi que de nombreux extraits de films qu’il a réalisés ou montés dans sa carrière. Le commentaire de la fille cinéaste guide le film avec sa voix admirative pour son père et ses mots bouleversants concoctant un magnifique hommage cinématographique à la fois à un membre de sa famille et à un homme touchant au patrimoine national canadien : hommage dans lequel les archives familiales deviennent aussi importantes que les archives officielles.
Car la force du film est de construire des allers et retours entre l’enceinte familiale, avec ses retranchements sensibles et ses souvenirs, et l’homme de spectacle. La présence d’intervenants en voix-off, artistes ayant travaillé avec Peter Wintonick, rappelle son engagement et sa contribution artistique essentielle dans des projets de films. Wintopia tente ainsi de questionner le lien entre l’homme et l’artiste, un père absent et un artiste du monde qui donna beaucoup aux autres et peut-être pas suffisamment aux siens. C’est du moins ce que l’on perçoit à travers le film lorsqu’il prend le contour d’une histoire familiale remplie d’empathie, montrant l’amour d’un père à sa fille au travers des courriels retranscrits sur l’écran et des cartes postales envoyées au cours de ses aventures dans de lointains territoires.
Des images qui confèrent une présence fantomatique, il y en a d’autres. Un magnifique extrait de film revient plusieurs fois dans Wintopia. Peter Wintonick se trouve, dit-il, bloqué sur une île sacrée, et filme depuis sa voiture la route recouverte en partie par la marée avec un arrière-plan paradisiaque. Cette route devient alors la métaphore même de son projet inachevé Utopia et également du film de Mira Burt-Wintonick : un pont poreux entre la vie et l’au-delà, entre la frustration et le désir, entre la réalité et l’utopie.
Note : 8 /10
Bande-annonce
Titre original : Wintopia
Durée : 88 minutes
Année : 2019
Pays : Canada
Réalisation : Mira Burt-Wintonick
Scénario : Mira Burt-Wintonick
Sortie Québec : 26 mars 2021
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