Il faut tirer le chapeau à Marcelle Lean pour avoir réussi à maintenir le festival Cinéfranco en période de pandémie. Plus important festival de films francophones du Canada anglophone, Cinéfranco propose une édition en ligne du 20 au 28 novembre étant donné que tous les cinémas de Toronto ont dû fermer leur porte.
A côté de la programmation de longs métrages, deux cycles de courts métrages sont proposés en partenariat avec Le Labo, centre d’arts médiatiques francophone de Toronto, et le FRIC (Front des Réalisateurs Indépendants du Canada) : belle occasion pour donner à ces films et à ces artistes un peu de lumière durant ces temps difficiles. C’est aussi l’occasion pour Le Petit Septième de donner la parole à l’un des artistes faisant partie de la programmation, Joffrey Saintrapt, réalisateur francophone torontois.
Oui, j’ai eu beaucoup de chance. Ils ont déjà pu circuler et être vus par le public de plusieurs festivals. Je tente toujours de montrer mes films en premier lieu au Canada avant de les présenter à des festivals internationaux. Made in Montréal s’est baladé jusqu’en Espagne et en France, quant à Living with a monster, il est allé jusqu’en Inde. Je n’ai pas toujours l’occasion d’assister aux festivals où mes films sont présentés, la plupart du temps parce que je suis occupé à travailler. C’est pourquoi, je privilégie les festivals canadiens pour pouvoir m’y rendre, rencontrer les organisateurs et les participants, découvrir les autres films de la programmation et écouter les réactions du public.
Ici à Toronto, j’ai eu l’occasion de faire la première de Living with a monster au Pendance Film Festival en 2017. C’est un festival qui prend de plus en plus d’ampleur et propose une riche sélection de films. Mon film a aussi pu être projeté sur grand écran au Art Gallery of Ontario dans le cadre du Toronto Shorts International Film Festival. Ce fût une belle projection où j’avais pu réunir l’équipe du film et des amis. J’ai également eu la chance d’être sélectionné à deux festivals à London, Ontario : le Shock Stock qui est un rassemblement de fans de films de genre, ainsi que le Forest City Film Festival qui fait briller la scène artistique de London. Chaque festival est une aventure unique et je repars reconnaissant d’avoir pu présenter mes films.
Bien sûr je préférerais voir 30 minutes de courts métrages avant la projection d’un long métrage, plutôt que 30 minutes de publicité. C’est certain que ça me ferait plaisir de pouvoir découvrir plus de courts métrages en salle. Je comprends tout à fait l’apport financier de la publicité aux salles de cinéma, mais je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas faire un peu de place pour les courts, ceux qui ont été primés par les grands festivals par exemple. Il manque peut-être un relais entre les festivals de courts métrages et les salles de cinéma.
Il existe plusieurs endroits pour voir de belles sélections de courts, mais je ne pense pas que ça vient naturellement à l’esprit du spectateur de rechercher du court métrage sur Internet. C’est le format long ou de série qui prime dans l’esprit collectif. Alors qu’à l’inverse, dans le monde de la musique, on consomme plus de singles que d’albums. Internet est un allié dans un sens, parce qu’à l’heure actuelle on peut y trouver des centaines de milliers, voire des millions de courts métrages disponibles gratuitement sur la toile. Ils sont visibles sur différentes plateformes ou sur des chaînes YouTube, mais il n’existe pas à ma connaissance de véritable plateforme au Canada qui mette à l’honneur le court métrage pour rendre ce format plus accessible. Peut-être en raison de problèmes de droits ?
J’ai toujours aimé les films de genre et je n’avais jamais vraiment fait de film d’horreur avant. Je suis parti d’une histoire assez classique : un personnage seul chez lui avec une entité fantastique qui vient le tourmenter. C’est du déjà vu, donc il fallait trouver une approche intéressante pour revisiter les codes du genre. Ma première envie a été d’aller à contre-courant du style de film d’horreur contemporain, rempli d’images graphiques violentes et de gros effets sonores pour faire sursauter le spectateur. J’ai choisi de me débarrasser du son ambiant et de situer le film dans un cadre muet.
Cela m’a contraint à donner un soin particulier au côté visuel et narratif de l’histoire. J’ai pris beaucoup de plaisir à relever ce défi car le projet suscitait des choix artistiques vraiment stimulants. Mon envie était de dépasser l’étape du fantastique pour le frisson, mais aussi de donner du sens à la présence du monstre. J’ai eu alors l’idée d’associer le monstre avec le problème d’alcool du personnage. Le monstre apparaît seulement quand le personnage à un verre à la main : je voulais rester ainsi dans une certaine tradition cinématographique où les monstres sont souvent le reflet de nous-mêmes. Un bel exemple me vient à l’esprit avec le film Docteur Jekyll and Mr Hyde (1920, John S. Robertson).
J’avais aussi imaginé un projet de série web avec un chassé-croisé de personnages atteints par différentes pathologies pour donner vie à nos « Monstres ». C’étaient des petits contes fantastiques réalisés également dans un style de cinéma muet où chacun des personnages était amené à se confronter à son propre démon. C’était un projet que je trouvais intéressant et original, mais en dépit de demandes de subventions, je n’ai pas réussi à trouver les fonds nécessaires pour financer la suite de ce projet. Mais le premier volet existe avec Living with a monster consacré à la dépendance à l’alcool.
C’est certain que Murnau est un cinéaste à découvrir pour comprendre la force narrative des images. Clairement, les grands réalisateurs de films muets, Georges Méliès, Fritz Lang et Sergueï Eisenstein pour n’en citer que quelques-uns, ont été la principale source d’inspiration et de recherche. Mon attention s’est particulièrement portée sur le cadrage, les effets visuels du début du cinéma, l’utilisation des miroirs et des réflexions, les effets d’optique.
Par ailleurs, j’ai créé dans l’image une « ambiance sonore », qu’on ne peut entendre néanmoins : je voulais juste la suggérer au spectateur. Par exemple, quand je filme le robinet qui fuit, je suggère ainsi le son de la goutte qui tombe à un rythme régulier. Dans un plan large où le personnage n’arrive pas à trouver le sommeil et se retourne dans son lit, je filme en plongée pour intégrer dans le cadre le ventilateur ce qui ajoute l’information qu’il fait chaud dans l’appartement et crée aussi un son continu de ventilateur dans l’imaginaire du spectateur. Ce sont de petits détails qui participent subtilement à créer une atmosphère pesante dans le film et invitent à se poser des questions sur comment utiliser le langage cinématographique.
Il en est ainsi dans la tradition du cinéma muet, la musique est là pour appuyer ou souligner les émotions ou les actions des personnages. Avec ce film, c’était intéressant de construire une réflexion autour du son uniquement avec la musique. J’ai eu la chance de collaborer avec Chris Reineck, un compositeur talentueux qui a réussi à créer un son à l’ancienne, tout en lui apportant une touche de modernité.
On est parti des musiques des films de Charlie Chaplin, on est passé aussi par Nosferatu le vampire de Murnau pour s’inspirer de tonalités plus dramatiques déjà utilisées dans le cinéma de genre des années 1920. Dans un registre plus contemporain, on s’est également inspiré de mélodies plus agressives de films tels que Suspiria (1977, Dario Argento), Halloween (1978, John Carpenter) ou It Follows (Traquée, 2014, David Robert Mitchell) qui ont tous des musiques incroyables pour accompagner leurs histoires.
Ce film est parti d’un constat qu’à Montréal les gens parlent la même langue, chacun à sa manière et avec son accent (le français québécois et le français de France) et pourtant ils n’arrivent pas forcément à se comprendre. Il y a comme une forme d’ironie que je trouvais inspirante où la différence de culture se manifeste d’un point de vue sonore au sein d’une même langue.
Je suis parti d’un personnage qui se sentait à l’étranger tout en étant dans sa propre ville : comme dans un épisode de Twilight Zone (La Quatrième Dimension) où un matin il se réveillerait et les gens dans la rue ne parleraient plus la même langue que lui. Au lieu d’avoir un Québécois qui découvre la France, c’est la France qui vient à lui. C’est cette inversion de situation que je trouvais amusante de créer à Montréal, après la vague d’immigration de Français vers le Québec de ces vingt dernières années.
Du coup, j’ai caricaturé le Français pour rendre la situation plus anxiogène pour le personnage. Le but n’est absolument pas de faire passer les Québécois pour des racistes ou les Français pour des beaufs. Dans mon approche, je voulais créer une situation qui pourrait se passer aussi bien à Montréal qu’au Brésil où un Brésilien se retrouverait à cohabiter avec des Portugais. C’est cette confrontation de cultures autour d’une même langue que je trouvais propice pour réaliser un essai sur la tolérance.
À une échelle plus large, on partage une planète avec 7 milliards d’êtres humains, donc ce sont 7 milliards de personnes qui expérimentent la vie de manière différente. Chacun a son ressenti, son histoire, ses idées, ses croyances. Et je pense que si on veut vivre un jour tous ensemble « en harmonie », il faudra prendre tout le monde en considération, sans exception. On vit à une époque où nous avons la chance de nous mélanger, de voyager et de découvrir d’autres cultures. Je pense que nous avons beaucoup à gagner à se rencontrer, à échanger et à ouvrir notre esprit à différentes approches de la vie.
En France, d’où je viens, il me semble que nous n’avons pas su profiter des avantages du multiculturalisme. Cela laisse place alors à des dérives avec le racisme et des situations d’exclusion. Ici, au Canada, j’ai l’impression qu’il y a davantage de tolérance et d’ouverture aux autres cultures, même si des problèmes de racisme persistent. Il faut continuer à renforcer les liens entre les anglophones, les francophones, les Premières Nations et aussi les autres cultures qui arpentent ce grand pays.
L’hiver est définitivement le point de départ de ce projet. L’envie de tourner en hiver à Montréal est née quelque part dans ma tête lors de ma première visite pendant l’hiver 2003. J’ai trouvé quelque chose de magique qui planait dans les rues enneigées de cette ville. À partir de là, j’ai su que je devais un jour développer un projet de film autour de Montréal. Il ne me restait donc plus qu’à écrire une histoire, avec la certitude que ça se tournerait en hiver. Mais ce ne sont pas les conditions les plus faciles pour tourner, c’est pourquoi la majorité des tournages se font en été au Canada. Mais l’effort en vaut la chandelle !
Quand je considère une ville comme un personnage majeur de l’histoire, il me semble important de présenter autre chose que les quartiers « carte postale » que l’on peut voir dans la majorité des films. Aussi bien dans Made in Paris, un court métrage précédent tourné à Paris que j’ai co-réalisé, que dans Made in Montréal, le défi était de présenter des endroits de la ville moins connus, moins touristiques : les coins où vivent les gens.
Le scénario était construit comme différents tableaux/scènes qui devaient marquer une étape dans la réflexion du personnage principal. Ces tableaux avaient besoin de transitions pour montrer la ville, le temps qui passe et fluidifier l’action. Pour insuffler de l’énergie dans mon film, j’ai eu la chance de collaborer avec un artiste talentueux de Montréal, Nocide, qui fait de la musique électronique. C’est quelqu’un qui peut aussi bien faire de gros sons électro très rythmés, que des sons trip hop plus atmosphériques, voir utiliser des instruments acoustiques. Son riche répertoire musical m’a permis d’unifier les différentes scènes et de sublimer l’histoire du film en lui apportant force et émotion.
Oui, toujours ! Je travaille à l’écriture d’un long-métrage de fiction avec Soufiane Chakkouche, un écrivain marocain qui brille dans le polar. C’est un projet que nous avons pu développer cette année dans le cadre du programme Élan de l’APFC (Alliance des Producteurs Francophones du Canada). Actuellement, nous affinons le scénario et travaillons à la présentation du projet en vue de trouver un producteur et commencer la recherche de fonds, en espérant entrer rapidement en production.
La crise sanitaire a été pour moi une source de création. J’ai développé un projet documentaire intitulé provisoirement Confinés. Au début du confinement en France, le 17 mars 2020, j’ai demandé à plusieurs personnes si elles étaient intéressées à tenir un « journal de bord » de leur confinement. L’idée était de faire une vidéo par jour avec leur téléphone pour documenter leur quotidien. Finalement, j’ai réussi à réunir une vingtaine de personnes à travers le monde et j’ai récolté de mars à juillet leurs vidéos qui présentent différentes situations de confinement. Je travaille actuellement à la recherche de fonds et à susciter l’intérêt d’un diffuseur pour mener à bien la post-production de mon film qui porte un regard sur l’être humain enfermé en période de pandémie.
Propos recueillis par Bruno Boëz, le 13 novembre 2020.
Living with a Monster et Made in Montréal seront présentés en ligne dans le cadre du festival Cinéfranco du 25 au 28 novembre.
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