« T’sais…tu peux t’en aller, si tu veux, moman. »
François Delisle fait partie de ces cinéastes québécois qui réalisent leurs films avec peu, ou pas, d’aide des grandes institutions de financement (SODEC, Téléfilm, même l’ONF) et qui adoptent donc une approche très artisanale du septième art. Ces réalisateurs, comme Robert Morin, Denis Côté, Noël Mitrani, Éric Falardeau, Jean-Marc E. Roy et Raphaël Ouellet ont en commun de pallier le manque de budget de leurs long métrages par une inventivité formelle, ainsi que narrative, qui donne lieu à des œuvres singulières, dynamiques et rafraîchissantes, toujours bienvenues à une époque où certains craignent une institutionnalisation de notre cinéma. Delisle et ses collègues nous rappellent que des films personnels et audacieux peuvent toujours voir le jour dans la Belle Province.
De tous les auteurs mentionnés ci-haut, le réalisateur de CHSLD est celui dont la filmographie contient les propositions cinématographiques les plus radicales, les plus difficiles d’accès pour le spectateur lambda. Delisle est un cinéaste qui expérimente beaucoup avec le médium et qui n’a pas peur de s’attaquer à des sujets crus, mais toujours avec une part de poésie. Le style expérimental de Delisle donne lieu à des films assez inégaux. Autant Le météore (2013) et Chorus (2015) – tous deux présentés à la Berlinale – sont d’une beauté à couper le souffle, d’un lyrisme renversant, et comptent parmi les meilleurs films québécois des vingt dernières années, autant les mélodrames oedipiens mal ficelés que sont Deux fois une femme (2010) et Cash Nexus (2019) laissent à désirer tant sur le plan formel que narratif.
C’est avec bonheur que je me permets de dire que CHSLD, qui documente les dernières heures de la mère de Delisle dans un centre de soins palliatifs, s’inscrit dans la lignée des bons films de Delisle, le court métrage mobilisant tous les meilleurs aspects du style du réalisateur pour offrir une œuvre saisissante et à fleur de peau.
À mi-chemin entre l’essai documentaire et le roman-photo, CHSLD est composé d’un défilement d’images fixes – procédé fréquemment utilisé par Delisle – et d’enregistrements sonores effectués par le cinéaste lors de ses visites à sa mère mourante. Les photographies, prises de main de maître, viennent rendre compte du déclin prononcé de la santé de la mère du réalisateur. Fidèle à son habitude, ce dernier n’épargne pas au spectateur les réalités difficiles et multiplie les clichés montrant la patiente dans un état de vulnérabilité et de confusion. Les plans sur les mains noueuses, crispées sur les rebords métalliques du lit, ou sur le regard absent de la patiente restent particulièrement en tête. Pourtant, les images de CHSLD ne sont ni obséquieuses, ni sensationnalistes – un piège dans lequel le film aurait très bien pu tomber, considérant le sujet. Au contraire, elles documentent avec justesse et douceur le sort des malades en soins palliatifs.
À vrai dire, de par l’attention que le cinéaste porte aux petits détails – les cartes que reçoit sa mère, les arbres dans le parc autour du centre de soins, les photos montrant sa génitrice quand elle était jeune – une certaine sérénité méditative se dégage de l’univers visuel du film. La photographie de Delisle, du reste, montre parfois sa mère au milieu d’une lumière blanche, chatoyante et enveloppante, quand il vient la visiter durant la journée, parfois au sein de délicats clairs-obscurs créés par le contraste entre l’éclairage jaunâtre cru de la chambre et le mur bleu foncé du mur de la chambre. Approchant la conclusion du film, deux images marquent l’imaginaire: celle de la fille du cinéaste, très jeune, émue lors de l’ultime visite à sa grand-mère et, surtout, la seule image mouvante du film, un plan rapproché sur la main de Delisle enserrant celle de sa mère, alors qu’il lui demande, sans succès, de serrer pour signifier qu’elle est encore consciente de ce qui l’entoure.
Comme l’image, le son relate le dépérissement de la mère du cinéaste qui, d’une visite à l’autre, perd de plus en plus de capacités cognitives, jusqu’à ne plus reconnaître son fils, qu’elle appelle « Robert ». La trame sonore du film offre un portrait sobre des moments que plusieurs aidants naturels ont à vivre durant les dernières heures d’un proche. Delisle enregistre aussi ses conversations avec les préposées aux bénéficiaires du film, révélant toute la bonté, le courage et la douceur dont les soignantes font preuve dans leur métier. CHSLD vient ainsi rappeler l’importance des travailleurs et travailleuses de la santé, que nous réalisons d’autant plus depuis quelques mois.
Cependant, le film de Delisle n’est pas autrement militant, et ce malgré tous les enjeux politiques entourant la question des CHSLD, que certains souhaitent même voir abolis. Le court métrage ne traite pas de ces sujets, mais est une chronique intime et psychologique montrant les moments importants du processus de fin de vie en soins palliatifs. Le film est surtout un hommage de Delisle à sa mère et à la solidarité humaine. En cela, CHSLD fonctionne parfaitement.
Note : 7.5/10
CHSLD est présenté dans le cadre des RIDM 2020.
Bande-annonce
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