« Ça ne te dérange pas que j’aie juste 12 ans? »
Trois actrices, trois chambres d’enfants, 10 jours et 2 458 prédateurs sexuels. Une expérience qui éclaire de toute urgence le sujet tabou de l’abus des enfants sur Internet. Trois actrices de plus de 18 ans, avec de très jeunes apparences, sont chargées de faire semblant d’avoir 12 ans sur de faux profils de réseaux sociaux. Dans des copies fidèles de chambres d’enfants créées dans un studio de cinéma, elles discutent et skypent avec des hommes de tous âges qui les ont recherchées et contactées en ligne. La grande majorité de ces hommes exigent du sexe vidéo et envoient des photos de leur pénis ou des liens vers du porno. Certains tentent même de faire du chantage. Le documentaire livre le drame captivant des protagonistes, des actrices interprétant des filles de 12 ans, du casting aux rencontres face à face avec les prédateurs (observées par la sécurité et six caméras cachées). Les tactiques prédatrices sont progressivement retournées contre les agresseurs et les chasseurs deviennent les chassés.
Avec Caught in the Net (V siti), Barbora Chalupová et Vít Klusák offrent un documentaire d’enquête choc qui ouvre les yeux et laisse un goût amer dans la gorge. Bienvenue dans l’univers de la prédation sexuelle en ligne!
Plutôt que de faire un documentaire du type « entrevues et rencontres », le duo a décidé d’engager 3 jeunes actrices afin de tester, dans la vraie vie, comment se produisent les échanges entre des jeunes adolescentes de 12 ans et des prédateurs sexuels.
Pourquoi ce choix? « Nous avons été confrontés au défi de savoir comment documenter un phénomène qui se déroule derrière les portes des chambres d’enfants. Nous voulions montrer aussi précisément que possible toutes les astuces et manipulations que les prédateurs utilisent dans leur communication avec les enfants », expliquait Barbora Chalupová en entrevue.
Et puisque ce projet était éthiquement délicat, ils ont ajouté, à leur équipe de production, des experts: des psychologues, un sexologue, un avocat et la police. Nous voyons d’ailleurs toutes ces personnes interagir dans le film. On voit principalement la psychologue discuter avec les 3 jeunes femmes qui jouent les rôles des adolescentes. Disons que les actrices n’ont pas trouvé ce rôle facile. Et pour cause: chaque jour, et ce pour une durée de dix jours, elles étaient connectées pendant une dizaine d’heures et elles recevaient des « dick pics », des vidéos cochonnes et des demandes souvent insistantes pour se déshabiller en direct.
Mais, pour que le « canular » fonctionne, il fallait que les filles de 18 ans soient crédibles dans leur rôle. « Nous avons donné des devoirs aux filles. Nous les avons amenées à rencontrer des enfants de cet âge une quinzaine de jours avant le tournage et à recueillir autant d’observations que possible sur la façon dont ils parlent, écrivent, regardent YouTube et ainsi de suite. Pour s’assurer qu’elles ne coupaient pas les coins ronds, elles ont écrit les observations dans des essais. Tereza a contacté son jeune cousin et elle a mis sur pied un groupe de messageries où il a invité des camarades de classe. Grâce à eux, Tereza a pu noter et repérer les abréviations, les GIF et les émoticônes qu’ils utilisent. Nous avons également prêté attention aux fautes de frappe et aux fautes d’orthographe. Par exemple, les enfants ne mettent pas d’espace après une virgule et, en fait, ne font pas du tout attention à la ponctuation. »
S’il y a une chose que Caught in the Net réussit à démontrer, c’est qu’une fille de 12 ans n’a pas besoin de se forcer pour se faire approcher par des hommes. Alors que l’équipe est encore à créer le tout premier profil, celui de Tereza Těžká, les demandes de contacts commencent. Le profil n’existe que depuis 5 minutes, que déjà 12 hommes âgés entre 26 et 62 ans demandent à se connecter à la fillette. Et, pour la première fois, on entend la sonnerie typique de Skype. Même pas 10 minutes…
Pour que leur documentaire soit accessible, les réalisateurs ont choisi de flouter non seulement les visages des prédateurs (ça allait de soi, mais aussi les innombrables photos et vidéos de pénis. Et, si vous vous le demandez, à aucun moment les filles n’ont demandé à recevoir ces images. Car bien que quelques gentilshommes prennent la peine de demander avant d’envoyer, la très grande majorité se contente d’assumer que ça fera plaisir à la jeune fille, qui la joue très naïvement d’ailleurs.
Combien de ces images ont été envoyées? « La tâche qui nous attendait était compliquée. Nous avons dû équilibrer le degré de choses « grossières » pour que le film montre la réalité tout en restant regardable. »
Mais ce qui est encore plus perturbant dans ce film, c’est qu’une quinzaine d’hommes ont poussé l’audace jusqu’à la rencontre physique, dans un lieu publique.
Comme beaucoup de Québécois, je regarde l’émission District 31. Dans un des épisodes de la présente saison, il y a une enquête sur un garçon d’environ 12 – 13 ans. L’adolescent se dénude devant un homme (à travers l’écran) en échange de monnaie virtuel pour un jeu. Je me disais que c’était possible, mais ça semblait trop facile. Disons que ce n’est pas tant un questionnement maintenant. En tout cas, ça semble être chose fréquente dans les pays de l’Est, là où se déroule Caught in the Net. Je me demande tout de même si le problème est aussi important ici… J’ai tendance à croire que non. Mais, en même temps, qu’est-ce que j’en sais?
La bonne nouvelle dans ce film c’est la phrase qu’il y a à la toute fin : « the Czech police requested the footage and used it to launch criminal proceedings.» [La police tchèque a pris possession du métrage afin de lancer une enquête criminelle.] Pour une fois, on sait qu’un documentaire aura le pouvoir de réellement changer les choses.
Au final, Caught in the Net est un documentaire sur un sujet difficile qui aurait facilement pu tomber dans le film spectacle. Heureusement il évite les pièges et se présente comme un vrai tour de force.
Note : 9/10
Bande-annonce
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