« Le corps humain moyen contient suffisamment de gras pour confectionner 7 barres de savon. »
Dans la vie de Clara, le personnel et le politique sont intimement liés. Elle vit avec ses parents dans la banlieue pauvre de São Paulo qui est prise en charge par le crime organisé. Alors que sa mère devient une importante membre du Congrès à Brasilia, sa famille déménage dans le district fédéral. C’est là, alors que Clara sent que la vie de sa mère est de plus en plus menacée, qu’elle entre dans une spirale descendante d’autodestruction, dans laquelle la souffrance lui procure une force vitale. Car, moins elle mange, plus Clara ressent de la puissance et de l’énergie. Alors qu’elle se garde affamée, Clara plonge dans une routine basée sur des calculs, des répétitions et des rituels : elle cesse d’avoir ses règles et commence à ressentir une extase en « contrôlant » le temps. Elle tente d’imaginer une géométrie de la faim, théorème impossible où ses calculs de destruction incitent à la libération. À l’âge de 15 ans, avec 37 battements de cœur par minute et pesant 29 kilos sur un corps de 1,64 m, Clara est hospitalisée.
Êxtase, de Moara Passoni, est une exploration immersive de l’agonie et du plaisir paradoxal de l’anorexie dans le contexte du paysage politique chaotique du Brésil des années 90. Un film qui a mis 10 ans à se concrétiser.
Beaucoup de films ont été faits sur l’anorexie. Autant de documentaires que de fictions. Mais aucun comme Êxtase (Ecstacy). C’est avec une bande sonore troublante et électrisante de David Lynch et Lykke Li que cette œuvre inspirée de la vie de la réalisatrice amène le spectateur dans les profondeurs de l’âme humaine.
En effet, Moara Passoni a souffert elle-même d’anorexie de l’âge de 11 ans à 18 ans. Dans son film, elle tente d’exorciser ses démons en nous présentant comment elle est arrivée à vivre une telle chose. C’est donc par une mise en scène puissante dès la première image que la recherche de sens commence. Une femme qui doit avoir entre 15 et 20 ans fait du jogging. Soudainement, devant un groupe de jeunes ballerines de 11 ans, elle s’écroule au sol. Elle est morte…
Cette allégorie, c’est Passoni qui jeune adulte s’écroule et meure sous ses propres yeux d’enfant. Puis le récit commence. On suivra la fillette, qui deviendra une femme et on tentera de comprendre le pourquoi et les comments de cette maladie. Enfance pauvre, parents absents, environnement violent, , commentaires dérangeants de la part d’hommes, mais aussi, l’attraction de la pensée magique. Et le point bleu… Ce concept destructeur pour Clara. Cette image de contrôle. Un contrôle maladif. Elle n’a jamais voulu être plus maigre que les autres explique l’adolescente. Ses « raisons » étaient toutes autres. Puis la maladie prend le dessus :
At the age of eleven, I cloistered away in my room to study obsessively and started weighing myself religiously. After ten years of ballet classes, I traded my toe shoes for a repetitive physical regimen. I barely ate, but food became an obsession. It was only later that I’d come to understand I was creating a language through food in order to deal with my need and fear of love. Years went by, but it felt as though time did not exist. At 15, all I was aware of were my bones gradually protruding from under my skin. I was fighting a war against my body. However, when you are in a process like anorexia, at least in my experience, suffering makes you feel alive. The process of destruction is then a process of pleasure. I enjoyed my own destruction, which was, for me, an experience of ecstasy. And that kept me from rejecting anorexia. [À l’âge de onze ans, je me suis cloîtrée dans ma chambre pour étudier de façon obsessionnelle et j’ai commencé à me peser religieusement. Après dix ans de cours de ballet, j’ai échangé mes chaussons contre un régime physique répétitif. Je mangeais à peine, mais la nourriture est devenue une obsession. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que je créais un langage à travers la nourriture pour faire face à mon besoin et à ma peur de l’amour. Les années passaient, mais c’était comme si le temps n’existait pas. À 15 ans, tout ce que je voyais, c’était mes os qui dépassaient progressivement de sous ma peau. Je menais une guerre contre mon corps. Cependant, lorsque vous êtes dans un processus comme l’anorexie, du moins d’après mon expérience, la souffrance vous fait vous sentir vivant. Le processus de destruction est alors un processus de plaisir. J’ai apprécié ma propre destruction, qui a été, pour moi, une expérience d’extase. Et cela m’a empêché de rejeter l’anorexie.]
Ce qui frappe rapidement dans Êxtase, c’est le côté poétique avec lequel l’histoire est racontée. Ce choix de narration crée un genre de malaise, et amène le spectateur à voir ce sujet d’un angle nouveau. Oubliez, ou presque, les images de corps effrayant presque sans chair. Vers la fin, elles sont intégrées afin de créer une rupture psychologique.
L’image du corps n’est pas absente pour autant. Comment serait-ce possible? Deux séquences nous présentent un corps dans la douche et à la sortie de la douche. Au début du film, Clara, encore une fillette, regarde sa mère sortir de la douche et s’essuyer. Présentation du regard scrutateur d’une jeune fille qui commence à voir les formes féminines comme étant problématiques. Par les gros plans, le choix des angles et les réactions de la fillette, on comprend. Rien n’est dit Mais c’est cette absence de paroles qui est encore plus lourde de sens. Plus tard dans le film, la scène de la douche se répète. Mais cette fois-ci, c’est Clara qui en sort. Alors que la première était filmée sans aucune pudeur, la seconde est filmée avec beaucoup plus de retenue. Belle façon de montrer que la mère n’avait pas de problème avec son corps, mais que la fille, elle, en avait un.
Et – est-ce là une critique de la société? – la scène avec la mère est froide, banale et surtout ne crée aucune sensualité, alors que la seconde scène, de par les teintes de l’image et les zones sombres, est créée une sorte d’érotisme. N’est-ce pas ce que notre société encourage en quelque sorte?
À quelques reprises, Clara répète une phrase que les médecins lui répètent et qui reviendra lorsqu’elle donnera son opinion sur le système de santé : « Clara, il faut manger sinon vous allez mourir. » Phrase qui ne porte aucunement fruit dans ce cas-ci, et semble-t-il en général. Puis vient le pourquoi. Selon le personnage (et la réalisatrice) les médecins semblent plus intéressés à punir qu’à guérir. Pour sauver la jeune femme entrée à l’hôpital, les médecins l’ont attachée et gavée par le nez, avec un tube. Pendant des semaines, ils l’ont gavé sans jamais tenter de comprendre les raisons pour lesquelles la jeune femme se faisait maigrir ainsi…
Peut-être est-ce une façon d’exprimer que beaucoup de médecins ne comprennent pas les troubles alimentaires ou les maladies mentales. Ce n’est là que la théorie de la réalisatrice, mais il me semble que ça fait du sens.
Quoiqu’il en soit, ce docufiction présente l’anorexie d’une façon nouvelle. Peut-être réussira-t-il à toucher l’imaginaire de façon plus efficace que les documentaires glaciaux et les fictions trop « fictives » auxquelles nous sommes habitués.
Car Êxtase est à la fois un voyage profondément personnel et une histoire collective de jeunes femmes et de leurs tentatives de contrôler le monde brutal qui les entoure. Un film coup de poing qui met la fiction, le délire et la réalité dans une relation symbiotique, mais surtout conflictuelle.
Note : 9.5/10
Bande-annonce
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