« Dans un bac de recyclage, à côté de quelques guides télé, j’ai trouvé le journal intime d’une petite fille. »
Il était une fois, dans une petite banlieue familiale à la périphérie de Rome, la chaleur joyeuse de l’été camouflant une atmosphère étouffante d’aliénation. De loin, les familles semblent normales, mais c’est une illusion: dans les maisons, les cours et les jardins, le silence enveloppe le subtile sadisme des pères, la passivité des mères et l’indifférence coupable des adultes. Mais c’est le désespoir et la rage réprimée des enfants qui vont exploser et couper à travers cette façade grotesque, avec des conséquences dévastatrices pour l’ensemble de la communauté.
Avec Bad Tales (Favolacce), les frères D’Innocenzo offrent un film dur sur la souffrance. Il s’agit d’un conte de fées sombre qui raconte les pires aspects d’une forme de capitalisme qui ne nous appartient pas par culture ou tradition mais que, en tant que citoyens du monde, nous pensons en quelque sorte mériter.
Peut-être sont-ce les sujets qu’aborde Bad Tales. Peut-être que c’est la mise en scène ressemblant à un conte. Mais, ce qui est sûr, c’est que ce film est intemporel. Je me suis posé la question à quelques reprises à savoir à quel moment ce film se déroule. Est-ce l’Italie rurale qui donne une impression de temps plus anciens? Est-ce le milieu particulier de ces familles? Quoiqu’il en soit, j’ai dû me faire à l’idée que le film se passe de nos jours: les adultes comme les enfants ont des téléphones intelligents. 😉
Mais on enlève cet élément et le film pourrait facilement se dérouler dans les années 1990… Et je suis certain qu’il pourra être encore d’actualité dans 10 ans.
Les 3 familles au centre du film sont coincées. La rupture de communication au niveau familial et la stagnation des routines stériles les ont installées dans un genre d’engourdissement duquel peut-être seules les tragédies ont la capacité de les en faire sortir.
Les maris rêvent des femmes des autres. La jalousie s’installe pour un rien (par exemple une triste piscine gonflable). Et les seules solutions semblent être la violence ou le déni.
Le malaise, la solitude et l’appréhension sont profondément incrustés au sein des familles de ce récit. La maison – ce qui était autrefois considéré comme un nid sécuritaire, bien que peut-être tendrement limitant – est maintenant le lien entre l’intolérance, la froideur et l’anxiété. Il suffit de considérer les statistiques sur les meurtres domestiques pour se rendre compte qu’il n’y a que peu d’issue pour ces gens.
Favolacce présente un monde de sensations, de couleurs vives et d’odeurs douces typiques de l’Italie. Pourtant, au loin, tout brûle. Et comme dans tout conte de fées qui se respecte, il y a un narrateur pour décrire les événements. Un narrateur moqueur qui aime mélanger les cartes, créer de l’ambiguïté dans le geste le plus normal et normaliser l’inhumain dans ses gestes les plus sombres.
Ici, comme dans un nombre grandissant de films, c’est la tristesse et l’apparence blasé des enfants qui dérangent qui marquent le spectateur. Comme dans L’Heure de la sortie, les préadolescents vivent un grand mal-être. On sens que l’avenir n’est pas un mot qui fait partie de leur lexique. On les sens prêts à imploser.
Les fillettes sont (ici) à la recherche de sensations et tentent de convaincre les garçons qu’il est temps de pousser les découvertes sexuelles. Les garçons, eux, n’en ont pas envie. Alors qu’ici un père bat son garçon; là, un autre l’encourage à coucher avec une autre préado. Il doit lui donner la varicelle. Alors pourquoi se contenter de lui donner la main. On ne prend pas de chance, on offre des condoms au gamin… Et tout ça est présenté comme une sorte de normalité déprimante.
Favolacce (Bad Tales) traite d’un rêve brisé. Le rêve brisé d’une génération de jeunes hommes et femmes qui ont imaginé leur avenir avec un sentiment d’espoir qui s’est avéré vain. Et leurs enfants, eux, ne croient simplement pas que l’avenir puisse exister.
Si vous ne savez pas ce qu’est un conte sombre, vous devez plonger dans la déprime de Bad Tales car, ce film représente une réalité qui est, malheureusement, de plus en plus présente et persistante.
Note : 9/10
Bande-annonce
Bad Tales est présenté au VIFF du 24 septembre au 7 octobre 2020.
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