Li mène une vie heureuse en Thaïlande auprès de sa famille, et son seul vice est sa manie de citer presque en permanence des bouts de dialogue de films, au grand désespoir des gens qui l’entourent. Mais cette existence insouciante chavire d’un seul coup lorsque la fille adolescente de Li tue accidentellement un confrère de classe qui lui faisait du chantage grâce à une vidéo compromettante. Et les parents de ce confrère de classe sont loin d’être n’importe qui. Son père est un politicien influent et sa mère est chef de police, avec la réputation de pouvoir élucider facilement les affaires les plus embrouillées. Bien entendu, elle prend en main le dossier de son fils, voulant prouver qu’il s’agit bel et bien d’un meurtre. Par tous les moyens imaginables, elle tente de faire avouer la fille de Li. Celui-ci échafaude un alibi extraordinaire, qui ne nécessite même pas de mensonge, rien qu’un brin d’exagération et la manipulation de quelques menus éléments. Son esprit vif et sa connaissance quasi encyclopédique du septième art sont les seules armes dont dispose Li, et il compte bien s’en servir afin de protéger sa famille et anticiper toutes les tactiques de la chef de police.
S’il y a une chose que le cinéma aime bien faire, c’est de parler de l’amour du cinéma. Cette cinéphilie peut être présentée de différentes manières. Elle peut être montrée à travers la mise en scène, surtout quand il y a un véritable amoureux du cinéma derrière la caméra comme Quentin Tarantino, Edgar Wright ou Wes Anderson. Sinon, elle peut apparaître à travers un personnage lui-même cinéphile. Les meilleurs exemples de ce type de protagonistes sont Amélie Poulain dans Le fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet, Nick Butterman dans Hot Fuzz d’Edgar Wright ou Danny Madigan dans Last Action Hero de John McTiernan. Mais peut-être que la façon la plus intéressante de convoquer la cinéphilie dans un film est de lui octroyer une place importante dans l’histoire. Ici, on peut citer des films comme Why don’t you play in hell? de Sono Sion, Ready Player One de Steven Spielberg ou le film qui fait l’objet de cette critique : Sheep without a shepherd de Sam Quah, qui fait partie de la sélection du festival Fantasia cette année.
Chose importante à savoir, il s’agit d’un remake chinois du film indien en langue hindie Drishyam, sorti en 2015, lui-même un remake du film éponyme en langue malayalam sorti en 2013. Cette nouvelle version chinoise a été pour sa part parmi les plus gros hits du box-office chinois en 2019, rivalisant avec des mastodontes comme Ip man 4 ou Star Wars IX, bien qu’il s’agisse du tout premier film de Sam Quah. Il mérite cependant tout le succès qu’il a reçu, car Sheep without a shepherd est un excellent film, une pépite qui mériterait d’avoir une distribution partout à travers le monde.
L’excellence du film est surtout due à son efficacité en tant que thriller. Cela est d’abord attribuable au langage cinématographique qui est parfaitement maîtrisé. Le superbe montage offre un enchaînement réfléchi des images et des séquences, qui crée une véritable tension chez le spectateur. La scène de la disparition de la voiture, comme une autre scène qu’il serait dommage de divulgâcher, montrent clairement cette maestria du montage. De plus, Quah a judicieusement recours au montage parallèle, comme lorsque le crime et la scène de boxe sont juxtaposés. À ces procédés s’ajoutent ceux de la mise en scène, qui sublime à plusieurs moments les émotions de la scène, notamment par des ralentis construits parfaitement.
Mais tout le côté thriller réussi du film ne serait rien sans la scénarisation impeccable, notamment dans la partie la plus importante du film, lorsque le protagoniste tente de camoufler le crime. Le long métrage livre plusieurs petits éléments au cours de l’intrigue, qui contribuent tous à mettre en haleine le spectateur, le faisant s’inquiéter pour la famille Li et questionner les possibles problèmes pouvant lui arriver. Le jeu du chat et de la souris entre la capitaine Laoorn et Weijie, le conflit principal du film, fonctionne aussi très bien. Même s’il arrive un peu de manière précipité (la chef de la police n’ayant pas de réelle relation avec le personnage principal pendant l’enquête), on est vite happés par le combat entre les deux personnages et on se demande qui gagnera à la fin. Petit bémol, il peut y avoir une certaine confusion par rapport au fonctionnement du plan de Weijie.
Outre le fait qu’il accentue la tension du film, le reste du scénario est aussi rempli de bonnes idées, comme le traitement de la cinéphilie du héros. S’il aurait été facile de le transformer en gimmick rigolo, comme par exemple en un personnage citant sans arrêt des répliques de films, le cinéaste fait un usage peut-être moins voyant de ce trait de caractère, mais qui sert énormément à l’intrigue. De plus, certaines des oeuvres citées pourront peut-être donner envie à des spectateurs curieux de les regarder, ce qui est un petit plus sympathique.
Ce qui est le plus étonnant, c’est que le long métrage traite de sujets plutôt osés. On y parle en effet de policiers abusant de leur pouvoir, de discrimination des classes sociales les plus basses par les plus hautes, ainsi que de la délinquance juvénile. Des sujets importants et cohérents avec l’actualité du moment. Le choix des sujets est particulièrement osé puisqu’il s’agit d’un film chinois. Car, même si l’action se place en Thaïlande (où ces problèmes sont aussi très présents), il n’est pas impossible de percevoir à travers les figures d’autorité du film ceux du gouvernement très contrôlant de l’empire du milieu. De plus, le film évite de rentrer dans le manichéisme facile en montrant qu’il n’y a aucun vainqueur au final et en offrant une fin réaliste.
En somme, Sam Quah fait une très belle première impression avec Sheep without a shepherd. Il crée un thriller d’une efficacité incroyable et doté d’un très bon scénario traitant de sujets osés. Avec le succès qu’a eu le film en Chine, son prochain long métrage risque d’être très attendu. Ici, on espère que le film aura droit à une distribution digne de sa qualité.
9/10
© 2023 Le petit septième