« Écoute… Aucun bruit. Pas un insecte. Pas un oiseau. »
Le cinéma d’horreur indépendant américain est riche en perles filmiques qui ont marqué l’histoire du Septième art et qui sont aujourd’hui considérées comme cultes par plusieurs cinéphiles. Pensons à Carnival of souls (1961), Rosemary’s baby (1968), Deliverance (1972), Jacob’s Ladder (1990), pour ne nommer que ceux-là. L’horreur étant un genre où les tabous et les interdits sont inexistants, il est logique que plusieurs cinéastes choisissent d’y tenter des expérimentations narratives et formelles, et c’est ce qui rend ces films si fascinants.
Depuis quelques années, le cinéma indépendant d’épouvante se porte particulièrement bien chez nos voisins du sud, alors que des films d’horreur réfléchis et inventifs arrivent sur nos écrans à la hauteur de deux ou trois par année. Ainsi se sont succédés Mr Babadook (2014), A girl walks home alone at night (2014), It follows (2014), Bone Tomahawk (2015), mother! (2017), The Visit (2017), Get out (2017), Hereditary (2018), US (2018), et ainsi de suite. À mon sens, Unearth de John C. Lyons et Dorota Swies, de par le poignant de son scénario et l’intelligence de sa mise en scène, se situe dans la droite lignée des films précédemment énumérés. Ce premier long métrage mérite autant de succès que ces derniers et le Festival Fantasia est le meilleur endroit où le découvrir.
La Pennsylvanie rurale. Le patriarche de la famille Lomack, Tom, est au bout de ses ressources. Criblé de dettes, il n’arrive plus à s’occuper de ses champs et est obligé de vendre son garage municipal pour travailler dans un casse-croute. N’arrivant plus à subvenir aux besoins de ses deux filles, dont l’une vient d’accoucher, il est contraint de vendre sa terre à une compagnie qui veut construire un puits de gaz naturel, contre la promesse douteuse de redevances. Sa décision le met en conflit avec la famille Dolan, ses voisins, des fermiers traditionnalistes dont la matriarche – interprétée par l’ancienne « scream queen » Adrienne Barbeau – se méfie de l’industrie fossile. La tension entre les familles, nourrie par les secrets, la rancœur et la culpabilité, s’exacerbe jusqu’à une finale des plus choquantes, alors que les polluants du puits commencent à ravager la santé physique et mentale des protagonistes.
Pendant plus de la moitié du film, le spectateur s’étonne que le projet soit vendu comme un film d’horreur, tant il semble plus être un drame social. Un drame social, qui plus est, diablement efficace. Les deux réalisateurs parviennent à représenter la misère – économique et mentale – qui afflige les petits producteurs agricoles américains avec autant d’efficacité et de sensibilité que Ken Loach. Unearth fait un portrait viscéral de la nature cyclique de la pauvreté et des humiliations auxquelles sont réduits les plus démunis, qui échouent sans arrêt à fuir leurs communautés ravagées par les aléas de l’économie mondialisée. La violence que finissent par s’infliger les deux familles est un reflet de la violence sociétale à laquelle elles sont soumises. Les acteurs, pour la plupart des inconnus, offrent des interprétations chargées de douleur et de colère silencieuse. Les quelques scènes positives du film viennent nous rappeler que les agriculteurs demeurent attachés à leurs terres et que c’est pour cela qu’ils s’obstinent à rester chez eux. Le film apporte un regard indulgent sur ces régions à qui on reproche d’avoir fait élire Donald Trump.
Après la construction du puits gazier, la mise en scène de Unearth contribue à nous immerger dans la réalité des personnages. L’image prend des teintes brunes ou grisâtres. La lumière, d’un jaune crépusculaire, vient souligner la décrépitude des bâtiments et l’épaisse couche de poussière qui recouvre les meubles. L’usage des longues focales et la caméra qui colle aux personnages induisent un sentiment d’enfermement. La bande sonore se remplit des sons assourdissants des forages, qui sont montrées par des inserts cauchemardesques. Tout contribue à créer une ambiance oppressante. L’horreur s’installe alors.
La seconde partie du long métrage se compose d’une série de scènes chocs où les personnages commencent à développer des infections et des hallucinations en raison de la contamination de leur eau et de leur air. Des plans obsédants de contenants se remplissant d’eau montrent l’omniprésence de la menace. Unearth se termine comme un body horror dans les règles de l’art, doublé d’un thriller psychologique. Le jeu, le montage et la direction artistique, surtout le maquillage ultra-réaliste, se combinent pour donner lieu à une finale sanguinolente et chaotique qui déboule devant les yeux effarés du spectateur. La dernière scène, énigmatique, vient mettre un peu de baume au cœur après un déferlement de violence et de drame. Remarque, la mise en scène du film contient des éléments horrifiques dès la première minute, avec l’univers sonore bourré de sons stridents et de vibrations profondes, avec l’image sinistre éclairée en clair-obscur poussiéreux.
Unearth est un récit coup de poing qui fonctionne autant sur le plan humain que sur le plan horrifique. Les cinéastes québécois auraient tout à gagner à voir ce film, qui est la preuve que des drames prolétariens en campagne n’ont pas toujours à s’accompagner d’une mise en scène grise et sans rythme.
Note : 8/10
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