Setouchi Kinema est la seule salle à Onomichi, en bord de mer, et elle est sur le point de fermer ses portes définitivement. Un ultime marathon y attire trois jeunes hommes, mais lorsque la foudre s’abat sur le cinéma, le trio est inexplicablement transporté dans le passé : aux derniers jours de l’époque féodale, puis lors de la guerre de Boshin, la seconde guerre sino-japonaise, la bataille d’Okinawa et, finalement, Hiroshima, quelques heures avant la bombe atomique. C’est là que nos voyageurs temporels feront la rencontre de la troupe ambulante Sakura, lesquels ne se doutent évidemment pas de la catastrophe imminente. Les « visiteurs » pourront-ils modifier le cours de l’histoire, ou est-il figé dans le temps, comme autant d’images sur une pellicule?
Peu de gens connaissent Nobuhiko Obayashi. Si ce réalisateur japonais ne possède pas la même envergure que d’autres cinéastes nippons comme Akira Kurosawa ou Nagisa Oshima, il est sans aucun doute l’un des plus atypiques de son pays. Mais si certains cinéphiles le vénèrent, c’est surtout pour son chef-d’oeuvre qu’est House, un film d’horreur sorti en 1977 dont la bizarrerie et le style surréaliste en a fait un film culte et a érigé son réalisateur au sein du palmarès des grands cinéastes japonais. Malheureusement, Obayashi est mort en avril 2020 à l’âge de 82 ans des suites d’un cancer du poumon. Labyrinth of Cinema, son dernier film sorti en 2019 dans son pays, est projeté à l’occasion de l’édition 2020 du festival Fantasia dans la catégorie Camera Lucida, et c’est toute une oeuvre testamentaire que nous laisse le bonhomme.
La première chose que l’on remarque c’est que le côté déjanté du cinéaste est encore bien présent même après 40 ans de carrière. Que ce soient les situations assez inusitées, la réalisation très éloignée de ce qui se fait normalement au cinéma, la direction d’acteurs volontairement exagérée ou le montage quasi épileptique, la patte Obayashi surplombe le long métrage. Le tout mis ensemble donne cependant un résultat inédit, une véritable expérience que l’on ne peut vivre qu’une fois dans sa vie. Les personnes moins habituées à ce genre de cinéma risquent d’être profondément marquées. Par contre, dans toute cette folie du réalisateur, il y a aussi quelques moments beaucoup plus calmes. À chaque fois, ce sont des points dramatiques forts dans le récit, et le talent d’Obayashi est de rendre chacune de ces scènes émotionnellement forte. Il est impossible de ne pas s’attacher aux personnages lors de ces passages. De plus, certains spectateurs risquent bien de verser une petite larme. Le cinéaste mêle avec brio de purs moments d’émotions et sa folie habituelle.
Mais cette folie peut aussi devenir un défaut du film, car ce n’est pas tout le monde qui peut l’apprécier. Il n’est pas impossible que des spectateurs moins familiers avec les films plus expérimentaux deviennent vite lassés de tous les effets que présentent le film. Mais avec ce ton déjanté présent pendant trois heures, il se pourrait même que les habitués du style puissent être aussi saoulés.
Mais, en faisant ce film, Nobuhiko Obayashi avait deux objectifs qu’il a remplis avec succès. Le premier était de critiquer les effets de la guerre. Ce thème revient très souvent dans la filmographie du cinéaste, ce dernier ayant vécu la fin de la Seconde Guerre mondiale et la bombe atomique. Puisqu’il s’agit de son dernier film, Obayashi décide d’y aller à fond et de présenter frontalement le sujet à ses spectateurs et à ses personnages. En parlant de plusieurs conflits de l’histoire du Japon, il tente de nous montrer que la vision de la guerre n’a nullement changé à travers les âges. Et, même si le résultat est très loin d’être subtil, il fonctionne à merveille. Chaque scène présentant une atrocité de la guerre est forte, émouvante et sans concession; les protagonistes en demeurent profondément choqués et transformés.
Mais la manière que ce message est transmis via ses personnages fait partie du deuxième objectif d’Obayashi : faire une véritable lettre d’amour au cinéma. C’est là le point le plus fort du film. Le cinéaste crée un véritable hommage au septième art, d’abord en faisant entrer plusieurs genres dans un seul et même film. On peut passer du drame à la comédie, du film de samouraï au film de guerre, du film parlant au film d’animation ou bien du film d’horreur à la comédie musicale sans transition, et ce et sans bouleverser le spectateur. Ensuite il réfère au cinéma à plusieurs reprises, que ce soit par la présence de réalisateurs mythiques comme John Ford ou Yasujiro Ozu ou de quelques clins d’oeil à certains autres, comme un personnage nommé Mario Baba, en hommage au au cinéaste italien Mario Bava dont Obayashi était fan (le réalisateur souhaitait d’ailleurs signé House avec le pseudonyme Bava Mario). L’exemple le plus frappant de ces citations cinématographiques est néanmoins le début et la fin du film, qui reprennent très librement celles de 2001 : L’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick.
Mais son plus grand hommage au cinéma est de parler du véritable pouvoir des films. Le but du scénario de Labyrinth of Cinema est de montrer que même un simple film peut apprendre, bouleverser et même changer un spectateur. C’est ce qui arrive aux trois protagonistes, chacun étant entrer dans la salle avec un apriori qui s’est vite dissipé à la fin. Et, même si le cinéma du récit finit par être fermé, le réalisateur démontre que le plus important sont les souvenirs d’une séance de cinéma.
Au final, même s’il n’est pas pour tout le monde, Labyrinth of cinema reste une grande expérience, une véritable lettre d’amour au cinéma et une grande protestation contre la guerre. Nobuhiko Obayashi nous livre une dernière oeuvre où il a tout donné. Même s’il nous a quittés, ses films resteront éternels dans la mémoire des cinéphiles.
8/10
Labyrinth of cinema est présenté dans le cadre de Fantasia 2020.
Bande-annonce
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