« J’ai comme une impression de déjà vu. »
Le locataire de l’appartement 2011 est un jeune monteur solitaire qui ne sort pas beaucoup de chez lui. Il travaille obsessionnellement sur le montage du film d’Hugo, un cinéaste passif-agressif et survolté. Le quotidien du monteur est dérangé par les visites surprises du réalisateur – interprété par un Hugolin Chevrette trop rare –, par les chicanes de couple de ses voisins et par des rêves terrifiants qui hantent ses nuits. Plus troublant, le jeune homme est la victime d’un mystérieux voisin qui ne se laisse jamais apercevoir, mais parvient à s’introduire dans son appartement. Alors que son espace, et même son corps, est profanés, le monteur distingue de moins en moins le rêve de l’éveil, le réel de la fiction et le passé du présent.
Avec 2011, le jeune réalisateur et producteur Alexandre Prieur-Grenier propose un premier opus dynamique, d’une maîtrise et d’une inventivité respectable. Le film se qualifie d’underground, et son auteur ne se gêne pas pour profiter de toutes les qualités que peuvent offrir un cinéma plus artisanal, en adoptant une approche très libre – à la limite de l’expérimental – de la forme et, surtout, en utilisant allègrement les codes du cinéma de genre. Comme Éric Falardeau, Izabelle Grondin et David Paradis avant lui, Prieur-Grenier embrasse la marginalité à laquelle est condamnée le cinéma de genre québécois en donnant à son cinéma une esthétique baroque, personnelle et délicieusement petit budget, qui fait tout son charme. 2011 est ainsi un ovni hétéroclite empruntant d’abord au film d’horreur et d’exploitation, mais aussi au cinéma d’auteur européen. Cela dit, le film n’évite pas certaines maladresses de débutant, notamment par rapport à son intrigue qui, à mesure que le film avance, devient un peu trop diluée.
Ce qui fait une grande partie du charme de 2011, c’est le foisonnement d’hommages à plusieurs cinéastes qu’on y retrouve. Avec son intrigue éclatée, entrecoupée de multiples scènes oniriques quelque peu inquiétantes, le film fait d’abord penser à l’œuvre de David Lynch. L’univers visuel – rempli de plongées totales, de plan-séquences et d’éclairages qui saturent l’image de couleurs monochromes – porte quant à lui beaucoup la marque de Brian De Palma. La paranoïa grandissante du protagoniste, centrée autour de bandes sonores\vidéo et de la peur d’être surveillé à son insu rappelle Blow out (De Palma) et The Conversation (Coppola). La folie au cœur de l’isolement et l’intrigue en huis clos rappelle les premiers films de Roman Polanski.
Le film utilise également le discours cinématographique pour aborder des théories psychologiques ou philosophiques. Le travail de monteur du protagoniste vient refléter ses troubles : il influence la temporalité et le réel du film qu’il monte, alors que lui-même perd contact avec le réel et le temps. Prieur-Grenier établit par ailleurs une dichotomie entre les rêves et les images de cinéma que monte le protagoniste, en mélangeant les deux jusqu’à ce que l’intrigue ne permette plus de distinguer ce qui est un songe du protagoniste et ce qui appartient au film qu’il est en train de monter. À mesure que 2011 avance, le monteur s’identifie aussi de plus en plus à l’actrice du film qu’il monte, à tel point que les évènements qu’elle vit commencent à arriver au monteur. On touche ici à des notions comme celles du double ou de la projection, renforçant les liens que 2011 fait entre le cinéma et la psyché humaine. Si cela semble familier, c’est que tous ces questionnements sur le rapport entre le cinéma et le réel, l’identité ou la psychologie se retrouvent dans Persona de Bergman, un autre hommage que rend Prieur-Grenier.
Toutefois, il ne faut pas oublier que le réalisateur écrit d’abord une lettre d’amour au cinéma d’horreur, duquel il reprend plusieurs thématiques. Comme tout bon film d’horreur, 2011 contient des effets gore, une utilisation soutenue du hors champ pour créer de la tension et met en scène la destruction spectaculaire du corps, comme lors d’une scène terrorisante qui se déroule dans l’hôpital d’un ascenseur et implique un personnage mutilé. Le long-métrage se déroule massivement sous le signe d’une menace constante qui se rapproche toujours plus du protagoniste. Prieur-Grenier montre une compréhension fine des codes de l’horreur psychologique et du body horror.
La mise-en-scène de 2011 est riche en influences multiples, elle parvient à créer des moments de pure angoisse et parvient à rester trépidante même dans le contexte d’un huis-clos. Le film traitant de montage, il est bien monté, avec un travail sur les transitions et le rythme. Toutefois, le talent du réalisateur ne parvient pas à couvrir complètement les défauts narratifs du film, qui se révèlent particulièrement criants lors de la finale, laquelle est brouillonne et assez peu concluante. Les multiples clin d’œil sont quant à eux intéressants, mais, à un certain point, semblent un peu trop appuyés, tout comme la volonté du réalisateur, d’utiliser dans presque chaque scène du film un nouveau procédé de mise-en-scène, histoire de bien souligner sa maitrise du langage cinématographique, finit par être redondante. Il ne faut cependant pas laisser ces quelques erreurs, inhérentes à une première œuvre, laisser entraver la carrière d’un brillant formaliste qui brave l’interdit ultime du cinéma québécois, soit réaliser un film de genre réfléchi.
Note : 6/10
2011 est présenté au Festival Fantasia dans leur sélection de films en ligne.
Bande-annonce
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