« Grand-mère a un petit copain ?! »
À New York, une grand-mère chinoise qui fume comme un pompier décide d’aller au casino et se retrouve du mauvais côté de la chance… et au milieu d’une guerre de gangs dans le quartier chinois.
Lucky Grandma est le premier long métrage de Sasie Sealy qui avait réalisé jusqu’ici des courts métrages (dont The Elephant Garden primé au Festival du film de Tribeca à New York) et des séries. Avec Lucky Grandma, elle réalise une comédie mafieuse avec un casting 100% asiatique dont l’actrice Tsai Chin, 86 ans, qui a enfin un rôle principal dans un long métrage. Si le scénario et la mise en scène peuvent paraître parfois convenus, vous aurez sans doute du plaisir à voir ce film avec l’étonnante Grandma Wong et son garde du corps Big Pong aux prises avec la mafia chinoise new-yorkaise.
Il ne faut pas vous attendre à une comédie avec des gags à répétition où vous vous tordrez de rire toutes les cinq minutes : Lucky Grandma n’est pas un film de Blake Edwards (The Party) ou de Jim Abrahams (Hot Shots!). Le film ressemblerait plutôt à une comédie mafieuse, dans le genre de Some Like It Hot (Certains l’aiment chaud) réalisé par l’immense Billy Wilder, dans laquelle un héros ou une héroïne sans histoire attire malencontreusement l’attention d’un gang. Cette figure scénaristique assure une source comique puissante dès lors qu’un personnage ordinaire n’appartenant pas à un milieu caractéristique doit fuir, se cacher, se protéger et jouer de la gâchette pour se sortir du pétrin.
Pourtant, tout devait aller pour le mieux pour la superstitieuse Grandma Wong. La diseuse de bonne aventure lui avait garanti que le 28 octobre serait son jour de chance : « Les carpes sautent par-dessus la porte du dragon, c’est vraiment de bon augure ! ». Elle accumule ainsi les gains au casino… jusqu’à tout perdre. Sur le chemin de retour, l’homme assis à côté d’elle dans le bus meurt soudainement en laissant un précieux sac rempli de billets verts. Et si Grandma Wong le gardait ? Après tout, c’est son jour de chance !
S’ensuivent des rebondissements relativement prévisibles dès lors que la mafia chinoise The red dragon envoie trois de ses fidèles serviteurs aux trousses de la pauvre grand-mère. Les méchants sont volontairement caricaturaux, un contraste qui augmente encore le comique de situation. Le même thème musical revient quand le film introduit de l’action et des courses-poursuites. Il faut imaginer Grandma Wong qui n’est pas en capacité de courir à cause de son âge essayer d’échapper aux gangsters. Et lorsqu’elle y parvient, Lucky Grandma est drôle.
Si Grandma Wong est petite et fragile, elle ne se laisse pas débouter par les intimidations. Avec son humour pince sans rire, entre deux bouffées de cigarette, elle s’avère être cassante voire redoutable avec sa froideur explosive. Elle sait ce qu’elle veut et n’a aucun remords à mentir en disant qu’elle n’a pas dérobé l’argent car, après tout, son défunt et bougre de mari ne lui a rien laissé !
Lorsque Grandma Wong recourt au service d’un garde du corps, l’humour du film prend une autre forme, basée sur le contraste physique. Big Pong est immense (ex-basketteur dans la vraie vie), mais il est doux comme un agneau : voici qui est amusant pour un dur à cuire ! Les deux personnages forment une belle équipe contre le gang The red dragon et renvoient à des duos comiques de l’histoire du cinéma : on pense bien sûr à Laurel et Hardy, mais aussi au film Twins (Jumeaux) avec Arnold Schwarzenegger et Danny DeVito.
L’arrivée de Big Pong dans le film apporte davantage d’action; toutefois, le film pèche de ce côté-là avec une mise en scène un peu trop statique quand il s’agit de représenter des scènes de bagarres. Néanmoins, si la réalisatrice Sasie Sealy est moins à l’aise dans ces parties, elle parvient à rééquilibrer son film grâce à la réussite de son duo. L’imagination des gags n’est pas des plus florissante mais, si vous aimez l’effet que vous procure l’image d’un géant qui s’assied sur un minuscule tabouret, l’humour de Lucky Grandma est fait pour vous.
Sous ses airs de comédie mafieuse gentillette, le film brille par son immersion totale dans le quartier chinois de New York. Aucun des personnages n’est joué par un Blanc, la cinéaste Sasie Sealy a tourné dans de vrais décors (les salons de mahjong, les ruelles, les restaurants) et de nombreux figurants dans le film sont issus du quartier. Ce réel assumé, ce réel roi, clin d’œil à certains films de Jackie Chan, constitue une rareté dans le cinéma américain qui aime tant s’emparer des mythes (notamment celui de Chinatown) avec le risque de stéréotyper les communautés en faisant des films en lieu et place des communautés concernées.
Réalisé par une cinéaste d’origine asiatique avec un modèle de production indépendant, Lucky Grandma se préserve de ce stéréotypage et avance sur un terrain familial et langagier tout en questionnant le melting pot. La version originale est en mandarin et en cantonnais; l’anglais est une langue mineure parlée dans le film uniquement par les enfants et les petits-enfants de Grandma Wong. Le recours de plus en plus systématique à l’anglais dans la communauté chinoise est-il un effet générationnel ? En le montrant ainsi, Sasie Sealy confronte le monde ancien représenté par Grandma Wong et la mafia, modèle traditionnel par excellence, et le monde nouveau représenté par les jeunes générations qui s’adaptent au mode de vie américain en tenant à distance leurs traditions et leurs racines culturelles.
Une scène est en ce sens particulièrement évocatrice. Quand le fils aménage une pièce dans son logement pour accueillir sa mère, il commet un impair en installant un autel bouddhiste dans la chambre à coucher. Grandma Wong est choquée « Tu ne peux pas te mettre nu devant Buddha ! C’est irrespectueux. Je n’arrive pas à croire que tu ne le savais pas ». Juste avant de s’allumer une cigarette en disant avec un petit sourire en coin : « C’est la dernière ».
Note : 6/10
Voici la bande-annonce
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Vous avez relevé des détails intéressants ! ps site décent. Debee Goddard Maccarone