« I’m just getting ready for another six months of being a single mother »
« Je me prépare simplement pour encore six mois comme mère monoparentale »
Le film britannique Military Wives de Peter Cattaneo, connu pour The Full Monty (1997), dépeint la situation des épouses sur une base militaire en Angleterre. Lorsque leurs maris s’en vont en Afghanistan, une période d’inquiétude et de solitude commence pour les femmes. Pour se distraire, elles se rassemblent. Les unes chassent les mauvaises idées en s’adonnant à divers groupes thématiques, d’autres – comme celles dans le film – créent le premier chœur d’épouses militaires, un succès car, en un rien de temps, le groupe est invité dans le fameux Royal Albert Hall de Londres pour chanter au Festival of Remembrance dédié aux soldats décédés en service.
L’affiche laisse présager ce que la musique de fond légère des premières secondes du film confirme : une comédie « feel good ». L’affiche respire l’atmosphère déconcertée : un ciel bleu dans lequel le titre énorme en jaune plane comme un immense soleil positif, en dessous le chœur radieux et ses deux chefs débordant de fierté. Et du début jusqu’à la fin le film tient sa promesse initiale – mais il convient de préciser qu’il n’apporte pas plus non plus. Malheureusement…
Kate (Kristin Scott Thomas) et Lisa (Sharon Hogan) forment la tête bicéphale du chœur et, tout comme la comédie le veut, elles présentent des figures tout à fait opposées : si Kate est l’épouse militaire parfaite – rigoureuse et engagée dans tout ce qu’elle entreprend – et affiche sa perfection à qui le veut par ses tailleurs élégants, tenant sa tête toujours un peu plus haute que nécessaire, Lisa manque de sévérité militaire. Elle prend les choses à la légère et aime passer de bons moments en compagnie autour d’un verre de vin. Son esprit libertin est à merveille exprimé par le choix de ses chaussures – des Converse. Ainsi, l’idée de fonder une chorale combine pour elle une passion d’enfance et … l’excuse de laisser terminer la session bien arrosée. Kate, cependant, aspire à beaucoup plus. Quand on fonde une chorale, il faut s’y investir à fond et le faire comme il faut – y compris, bien sûr, l’apprentissage de la lecture des partitions, idée à laquelle Lisa riposte : « Well, the Beatles didn’t read music and I think they did okay. » (« Bon, les Beatles ne savaient pas déchiffrer et je pense qu’ils s’en sont pas mal débrouillés. ») En effet, l’approche de Lisa est tout le contraire : selon elle, pour chanter bien, il est avant tout important de ressentir quelque chose en chantant, il faut qu’il y ait de l’émotion. Et, lorsque les femmes entonnent des tubes pop des années 80 comme Only You ou Time After Time, l’émotion est au rendez-vous – et probablement aussi pour le public.
Des caractères typiques se trouvent également parmi les participantes. Celle, timide et un peu plus corpulente, qui finit par sortir de sa chrysalide et laisse découvrir un talent inouï, celle – la seule lesbienne du groupe, à qui d’autre attribuerait-on un tel comportement masculin ? – très extrovertie qui est toujours la première à lever la voix sans toutefois jamais trouver les intonations justes, ensuite la plus jeune qui apporte toute sa naïveté dans le cercle des « dépendantes » – terme utilisé dans l’armée états-unienne pour désigner tout membre familial « dépendant » du soldat, son appendice, pour ainsi dire.
Tout comme le groupe cesse de détonner à un moment donné pour laisser place à une harmonie mélodieuse, des amitiés se tissent entre les femmes, une forte solidarité et intercompréhension se créent, et ceci même entre les deux chefs antagonistes.
Il faut reconnaître que ces femmes-là n’ont pas la vie facile. En tant que conjointes de membres de l’armée britannique, elles doivent se déplacer régulièrement en fonction des missions de leurs maris, recommencer à zéro sur une autre base militaire, refaire des amitiés, retrouver un travail – si tant est qu’elles en trouvent un qui leur permette autant de flexibilité –, remonter leur propre moral ainsi qu’à leurs enfants lorsque leur papa s’en est allé servir dans des pays lointains. Pour les épouses, ces missions signifient une anxiété latente permanente, étant donné que chaque appel, chaque frappement à la porte est susceptible d’apporter une nouvelle désastreuse.
Bien que ce soit Kate qui ait perdu son fils à la guerre, elle semble stoïquement tolérer le nouveau départ de son mari en Afghanistan, comblant son vide par l’achat d’ustensiles ménagers inutiles de nuit et par son engagement social sur la base militaire de jour. « It’s very important to keep busy. Less time to think about things » [Il est très important de rester occupée. Moins de temps pour penser à autre chose], réitère-t-elle son expérience de longue date.
Lisa, quant à elle, ne cache aucunement sa rancune envers la mission de son mari. La veille de son départ, elle range ses affaires dans le placard et commente cyniquement : « I’m just getting ready for another six monts of being a single mother » [Je me prépare simplement pour encore six mois comme mère monoparentale]. Mère d’une jeune fille en plein âge ingrat, pour être exact.
Les défis des femmes sont nombreux, mais lorsqu’on les entend chanter à pleine gorge et pleine de passion les paroles « Shout, shout, shout it all out ! » du tube « Shout » du groupe Tears for Fears on comprend que la musique est l’exutoire idéal pour nos émotions. C’est ça le point fort principal du film qui réussit magnifiquement à transporter les émotions à travers la musique et je vous jure que vous ne quitterez pas la salle de cinéma sans avoir versé quelques larmes à force de compatir avec les protagonistes.
C’est cette idée du rapport salutaire entre les émotions fortes et la musique qui a donné naissance au film Military Wives. Le réalisateur Peter Cattaneo allègue ainsi, interviewé par Antonia Blyth sur deadline.com :
« I didn’t know anything about military wives; I didn’t know anything about choirs […]. You see hundreds of war films, but you’ve never seen what happens to the families left behind. As a family person myself, it felt like interesting territory, and then when I knew it was a true story and it had choirs in it, I thought, well, if you put music and singing in the middle of all that, that just sounds like potential to be a great movie.» [Je ne savais rien sur les épouses militaires ; je ne m’y connaissais pas du tout en chorales […]. On voit des centaines de films de guerre, mais on n’a jamais vu ce qui se passe avec les familles laissées derrière. Étant une personne familiale moi-même, ceci m’a semblé un territoire intéressant et quand j’ai appris qu’il s’agissait d’une histoire vraie et qu’il y était question de chorales, je me suis pensé, bon, si tu mets la musique et le chant au milieu de tout cela, ça a le potentiel d’être un bon film.]
Tout compte fait, Military Wives est effectivement un bon film. L’intrigue et la performance des actrices nous permettent de nous identifier aux protagonistes, le film nous touche profondément et il n’y a rien à critiquer au niveau technique non plus (mais rien non plus qui nous fait applaudir frénétiquement). Je partage l’ignorance initiale du réalisateur par rapport à la situation des épouses militaires, mais je trouve immensément dommage – voire triste – tout le potentiel que Cattaneo n’a PAS utilisé.
Certes, la production d’un film comporte souvent des concessions vis-à-vis des producteurs qui peuvent juger certains thèmes trop délicats, mais Military Wives aurait pu être l’occasion de bien éclairer la situation féminine, de prêter attention aux concessions multiples que les épouses doivent accepter en entrant dans la communauté militaire, afin de dénoncer certaines inégalités.
Pourquoi, par exemple, ne pas révéler la situation problématique des épouses militaires sur le marché du travail ? Il doit y avoir une raison pour laquelle la majorité des protagonistes dans le film reste au foyer – même lorsque les enfants sont déjà grands car, le fait d’avoir des enfants, le film semble le supposer comme si c’était une évidence. Or, comment la situation se présente-t-elle pour les femmes qui, biologiquement, ne peuvent pas avoir d’enfants ? Ensuite, voudriez-vous me faire sérieusement croire que toutes les femmes de la chorale mènent un mariage tellement fusionnel que, pour aucune parmi elles, le départ temporaire de leur mari ne puisse pas aussi constituer – excusez-moi si j’ose dire ce mot impensable – un certain soulagement ou tout simplement la possibilité d’avoir plus de temps pour soi, pour se consacrer à ses propres intérêts ? N’existe-t-il pas une femme dans le groupe à qui, obligée de se contenter de se présenter comme « la femme de XY », cette formulation lui pince le cœur, car au 21e siècle n’est-ce pas ça la vraie évidence, celle de savoir qu’une femme est un être humain autonome et non pas seulement une « dépendante », l’appendice de son mari, un objet sans vie une fois que son point de référence est absent ?
C’est cette amertume troublante qui me reste, malheureusement, d’un film autrement divertissant et touchant.
Note : 6/10
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