« Ils vont nous tuer avec ce bromure. »
Alger, années 90. Nedjma (Lyna Khoudri), 18 ans, étudiante habitant la cité universitaire, rêve de devenir styliste. À la nuit tombée, elle se faufile à travers les mailles du grillage de la Cité avec ses meilleures amies pour rejoindre la boîte de nuit où elle vend ses créations aux « papichas », jolies jeunes filles algéroises. La situation politique et sociale du pays ne cesse de se dégrader. Refusant cette fatalité, Nedjma décide de se battre pour sa liberté en organisant un défilé de mode, bravant ainsi tous les interdits.
Sélectionné à Cannes (Un certain regard), Papicha, de Mounia Meddour, nous offre un regard sur les violents événements ayant eu court à Alger dans les années 90.
Ce qu’on a appelé la « guerre civile algérienne » ou la « décennie noire » est le conflit qui a opposé le gouvernement algérien à divers groupes islamistes armés à partir de 1991. On dénombrera à son terme plus de 150 000 morts, des dizaines de milliers d’exilés, un million de personnes déplacées.
En octobre 1988 éclatent des émeutes qui réclament de meilleures conditions de vie et l’ouverture démocratique. Le gouvernement issu du parti unique de l’époque, le FLN, y consent. Plusieurs partis se créent. En décembre 1991, le Front islamique du salut (FIS) est sur le point de l’emporter aux législatives. Son projet : instaurer un régime islamique.
C’est à cette époque que se déroule Papicha.
Afin d’illustrer les luttes des femmes au sein de la société de l’époque, la réalisatrice a eu la bonne idée de faire de son personnage principale une étudiante universitaire en création de mode. La passion de Nedjma pour la création de robes prend une dimension symbolique : ce que les Islamistes voulaient, à cette époque-là, c’était cacher le corps des femmes. Alors que l’étudiante dévoile et embellit les corps. Le simple fait de faire ça constitue une résistance face aux foulards noirs des niquab que les extrémistes tentent d’imposer aux femmes.
La réalisatrice (et son personnage principal) pousse l’audace encore plus loin en créant un défilé dans lequel Nedjma créera des robes seulement avec des haïks.
« L’idée est partie d’une nécessité économique : je me demandais ce que pourrait utiliser cette jeune femme qui n’a pas beaucoup de moyens pour créer une collection de vêtements. En Algérie, chaque femme a un haïk chez elle. Cette étoffe était, au-delà de sa fonction vestimentaire traditionnelle, le symbole de la résistance nationale algérienne contre la politique coloniale française. »
Et, comme l’explique la mère de Nedjma dans une des scènes fortes du film, « à l’époque, les femmes cachaient les armes des combattants dans ce voile ». Son utilisation est donc une belle façon de montrer que les étudiantes sont des résistantes, et qu’elles tentent de combattre le terrorisme. De plus en choisissant le blanc, qui représente la pureté et l’élégance de la femme algérienne, la réalisatrice crée une parfaite antithèse au noir obscur du niqab importé des pays du Golfe.
Papicha est presque un film autobiographique. Et comme ce fut le cas pour Mounia Meddour, Nedjma devra se questionner à savoir si elle veut poursuivre sa vie à Alger, ou si elle veut recommencer sa vie ailleurs, avec plus de possibilités de liberté.
Parce que tout ce que vivent les filles dans la cité universitaire, c’était bien le quotidien d’étudiantes algéroises à la fin des années 90. Y compris celui de la réalisatrice. Avec l’intégrisme montant et l’oppression tout autour. Elle connaît donc son sujet.
D’ailleurs, grâce à son personnage, Meddour nous embarque dans un grand voyage semé d’embûches, où l’on découvre plusieurs facettes de la société algérienne. Pour nous faire comprendre comment les intégristes s’y sont pris, il y a une gradation dans le film : des affiches à l’extérieur de la cité, puis des affiches à l’intérieur, puis jusque dans le réfectoire. Et, enfin, ces femmes voilées qui s’introduisent dans la chambre des filles. « Ces patrouilles de femmes en hidjab ont existé. Elles venaient régulièrement interrompre les cours. » Et ces femmes sont violentes et dévouées à leur cause.
Si vous connaissez des gens qui viennent d’Alger, vous avez peut-être déjà entendu cette façon de parler que l’on appelle le « françarabe ». « Je voulais aussi le parler algérois qui est tellement vivant, créatif et souvent hilarant. »
Pour un francophone, ça rend parfoit le tout un peu difficile à suivre. Mais c’est une belle façon de montrer un peu plus de la culture algéroise aux gens de l’extérieur.
Papicha, c’est une oeuvre qui montre les difficultés d’une société qui a dû se battre pour conserver ses valeurs. C’est aussi l’histoire d’une jeune femme combative, qui rêve de liberté, sans pour autant chercher le meilleur ailleurs.
Note : 8.5/10
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