« Mes amis, retenez ceci : il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes, il n’y a que de mauvais cultivateurs. »
-Victor Hugo
En 1995, l’acteur français Mathieu Kassovitz sort La haine, son deuxième long métrage après Métisse en 1993. Il y traite des problèmes relatifs aux cités, l’équivalent français des banlieues, où de nombreux citoyens vivent dans une certaine pauvreté et dans une ambiance propice aux activités criminelles. Le réalisateur y filmait trois jeunes délinquants et leur mode de vie, où règne la fraternité, mais aussi les conflits avec les forces de l’ordre. Le film est un succès critique et commercial, lauréat du prix de la mise en scène à Cannes et est aujourd’hui considéré comme un incontournable. 25 ans plus tard, Les Misérables de Ladj Ly, membre du collectif Koutrajmé, s’attaque lui aussi à la situation des banlieues et a lui aussi impressionné la Croisette en gagnant le Prix du Jury lors de la sélection de 2019. Cependant, la comparaison entre les films de Ly et Kassovitz s’arrête là, car Les Misérables arrive à se donner une identité propre tout en étant une pépite cinématographique.
Ce qu’on peut remarquer en regardant le film, c’est comment Ladj Ly a réussi un travail formidable en termes de mise en scène, de direction d’acteur et de scénario alors qu’il en est à son premier long métrage de fiction. Parce que, souvent, le premier film d’un réalisateur peut être imparfait à cause d’un manque d’expérience ou d’un désir d’en faire trop pour une première impression. Mais ici, surement dû à ses nombreuses expériences avec le documentaire et le court métrage (le film est tiré d’un court éponyme qu’il a réalisé en 2017), le réalisateur arrive à maîtriser les différents aspects de son film pour donner le meilleur résultat possible.
Il y a tout d’abord la mise en scène, tout particulièrement ces moments de pure tension qui ponctuent le film. Car, en effet, lorsque les trois policiers se retrouvent dans des situations délicates, chaque scène laisse dégager un stress, une peur chez les spectateurs que le pire peut avoir lieu et qu’il risque d’être violent. Le cinéaste ne s’y trompe pas, car quand tout ce qui peut mal aller arrive, c’est un choc. De plus, le film fait inexorablement monter cette tension toute la durée du film – la seule vraie pause ne durant que quelques minutes –, jusqu’à une finale explosive, brutale et marquante. Le réalisateur sait aussi comment gérer sa caméra, avec des plans de caméra-épaule qui restent lisibles et qui savent quand se poser, ainsi que l’utilisation intelligente d’une caméra drone diégétique qui ne fait pas cheap.
Il y a aussi un très bel effort sur les acteurs, la plupart étant en plus inconnus du grand public. Si les adultes sont très bons, notamment l’acteur principal Damien Bonnard qui devrait certainement voir s’ouvrir plusieurs portes dans l’avenir, ce qui frappe le plus ce sont les enfants, qui donnent les meilleures performances. Car s’il y a toujours une complication à faire jouer des jeunes personnes ne distinguant pas à leur bas âge toutes les nuances du jeu d’acteur, les jeunes comédiens des Misérables ne rentrent jamais dans l’excès et ont un jeu naturel : ils montrent qu’ils ont réellement grandi dans des cités (ce qui peut possiblement être le cas).
Cependant, la grande qualité du film est son écriture, plus précisément comment elle traite son propos sur les banlieues. Si le point de vue de La haine ne se focalisait que sur les jeunes de la cité, montrant les policiers comme une nuisance pour eux, Ladj Ly a la brillance de mettre en valeur à la fois les policiers et les habitants, et ce sans jamais prendre parti pour un des deux côtés. En effet, si l’on peut voir les policiers étant très autoritaires, ils ont aussi un côté calme et savent comment gérer l’ordre dans cette partie de la ville. Et si on ressent de la sympathie pour les banlieusards voulant vivre leur vie pleinement, on comprend qu’ils sont loin de faire les meilleurs choix et peuvent causer beaucoup de problèmes, voire être même destructeurs. Le réalisateur nous laisse choisir le camp que l’on va respecter.
Ce qui l’intéresse avant tout, c’est ce creux qu’il y a entre la police et les habitants de la Cité et montre que le véritable problème, c’est que l’un ne comprend pas l’autre. C’est ce dilemme qu’il met en avant au final, où les bons et les mauvais côtés des deux partis se confrontent. Une dernière scène est remplie de conflits – à l’inverse de l’introduction, où quelque chose de grand, soit la victoire de la France à la Coupe du monde 2018, rallie une population. Et la cerise sur le gâteau, c’est que la fin reste ouverte, faisant questionner le public sur le véritable dénouement de cette confrontation et le laissant sur une citation des Misérables de Victor Hugo. Cependant, les seuls vrais défauts du film pourraient être que le spectateur ne pourra pas toujours comprendre le vocabulaire des cités, étant très urbain, moderne et provenant en plus d’un autre pays, et que si vous voulez passer une soirée ciné tranquille, ce ne sera pas le meilleur choix tellement le long métrage tient en haleine. Ce sont cependant des problèmes incroyablement minimes face à ce que propose Ladj Ly.
Pour finir, Les Misérables est un film qu’il ne faut pas manquer. Alors qu’il en est à son premier long métrage de fiction, le réalisateur propose déjà une expérience cinématographique qui va chambouler les spectateurs sur leur siège et qui va les faire réfléchir sur une situation que l’on ne connaît pas forcément au Québec. Ce fut le cas en France où, après avoir vu le film, le président Emmanuel Macron a décidé de se pencher davantage sur le sujet. Ça, c’est le véritable pouvoir du cinéma.
Note : 9/10
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