« Vous êtes tous cinglés ici. »
Lorsque Pierre Hoffman (Laurent Lafitte) intègre le prestigieux collège de Saint Joseph, il décèle, chez les 3e 1, une hostilité diffuse et une violence sourde. Est-ce parce que leur professeur de français vient de se jeter par la fenêtre en plein cours? Parce qu’ils sont une classe pilote d’enfants surdoués? Parce qu’ils semblent terrifiés par la menace écologique et qu’ils ont perdu tout espoir en l’avenir? De la curiosité à l’obsession, Pierre va tenter de percer leur secret…
Inspiré du roman éponyme de Christophe Dufossé, L’heure de la sortie, de Sébastien Marnier, dresse un portrait terrifiamment réaliste de l’état d’esprit de la jeunesse actuelle. Une vision sans trop d’espoir de ce monde que nous leur laissons.
Sous ses faux airs de thriller de science-fiction, L’heure de la sortie s’avère être un film avec des ambitions beaucoup plus profondes. Le réalisateur réussit à montrer le clivage entre la jeunesse d’aujourd’hui et les générations précédentes qui ont, et continuent, à détruire notre lieu de résidence : la Terre.
En montrant que les enseignants sont dans une incapacité de comprendre les adolescents à qui ils enseignent, et en montrant les réelles préoccupations des jeunes, ce film donne à réfléchir aux « adultes ». Ceux-là même qui ont le pouvoir de changer – ou de ne pas changer – les choses. Et ce qui en ressort est alarmant : le suicide collectif.
Qu’est-ce qui préoccupe la nouvelle génération? La planète et leur survie. « Cette génération me semble surtout plus consciente du monde dans lequel elle vit. Nous avons fait un très long casting pour trouver les enfants de la classe de 3e 1 et plus particulièrement le groupe des 6. À chaque fois, on leur a posé des questions sur leurs peurs, leurs angoisses et nous avons été frappés par leur acuité mais aussi par le pessimisme de leur vision du monde. Sans surprise, les récents attentats étaient ce qui les reliait les uns aux autres comme un fil invisible. Dans leur collège, à chaque rentrée, on les informe des différentes règles à suivre en cas d’attentat. On leur explique qu’ils ne doivent pas rester sur le perron de l’établissement avec leurs amis parce que le risque de se faire tirer dessus est plus élevé. Il n’en faut pas plus pour installer dans l’esprit d’un enfant l’idée que le chaos rôde à proximité… »
Le réalisateur ajoute aussi : « Si cette peur collective ne nous a pas étonnés, nous avons été en revanche surpris par leurs angoisses liées aux questions écologiques, par leur conscience que l’homme est en train de tuer la planète et de faire disparaître les animaux. C’est une génération qui vit dans un chaos et qui a envisagé une certaine idée de la fin d’un monde. »
Et cette peur, cette angoisse est bien claire dans le film. Ces jeunes se cachent pour constater et s’inquiéter de l’avenir collectif. Ils n’en sont même plus à croire que c’est l’appât du gain qui est le plus important pour les hommes puissants de notre monde. Mais bien l’idée de se suicider en tant que race.
Vous croyez que c’est ridicule? Prenez donc le temps de regarder plus loin que votre propre nez…
L’heure de la sortie montre aussi le lien de confiance brisé entre l’adulte et l’enfant, le pédagogue et l’élève, le passé et l’avenir.
En mettant en scène des jeunes surdoués, le réalisateur peut mettre les élèves et leur enseignant sur un pied d’égalité. Le jeu psychologique entre les deux factions est vraiment crédible. Ici, on ne mise pas sur le petit morveux et l’adulte stupide. Non. Ils sont donc en mesure de mettre leur professeur en déroute, de le déstabiliser sur son terrain même, celui du savoir et de la pensée.
Et afin de nous les montrer encore plus « effrayants », on nous offre une superbe scène onirique dans laquelle les enfants s’approchent dangereusement de l’appartement de Pierre. Ils se déplacent de façon à rappeler ces terrifiants enfants du Village des damnés.
Voilà d’où L’heure de la sortie tient son suspense. Il y a chez cette bande d’adolescents quelque chose du groupuscule extrémiste – leur désespoir a entraîné la radicalisation de leur esprit. Mais les professeurs ne sont pas en reste : ils sont démissionnaires, indifférents aux souffrances de ceux sur lesquels ils sont censés veiller. Mais sont-ils les vrais méchants?
Dans cette école privée, il y a une forme d’aveuglement et d’irresponsabilité du corps enseignant, qui fait l’autruche alors qu’il sait qu’une colère sourde et anormale hante l’école. Pire: les professeurs relativisent la violence et la méchanceté dont les élèves sont capables.
Une chose est assez frappante depuis quelques années, et c’est un peu la base de ce film. C’est de voir plusieurs catastrophes se dessiner sous nos yeux alors que la plupart de nos dirigeants et les lobbies financiers y restent aveugles. Leurs décisions ne vont presque jamais dans le sens du bien commun alors qu’on sait que le monde tel qu’on le connait est sur le point de disparaitre. Et c’est chaque fois la même chose : il faut attendre que la catastrophe se produise pour que le « vivre ensemble » et la prise de conscience collective puissent prendre corps.
L’Heure de la sortie est un film qui contemple une tragédie en marche et qui donne à ressentir viscéralement la faillite implacable du monde.
Note : 8.5/10
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