« Were you really going to build a plane? – The plane wasn’t the problem. – What then? – The take-off strip. »
[Avez-vous vraiment eu l’intention de construire un avion? – L’avion n’était pas le problème. – Quoi alors? – La piste de décollage.]
2018 était une année agitée pour les Allemands, car elle marquait le 30e anniversaire de la chute du mur ayant séparé, pendant presque 30 ans, les pays de l’Est de ceux de l’Ouest. À Berlin, la ligne de séparation passait même au beau milieu de la ville… 2018, l’anniversaire, donc, de la fameuse réunification. L’un des spectacles les plus médiatisés parmi toutes ces festivités a été sans aucun doute le lancement du film Ballon – Le vent de la liberté, promu de manière très futée par l’installation de son protagoniste central devant l’emblème de la capitale : le Reichstag. Quand, donc, les Allemands passaient par le siège de l’assemblée parlementaire et apercevaient l’immense ballon multicolore, 9 sur 10 savaient tout de suite de quoi il s’agissait : la fuite spectaculaire à l’Ouest de deux familles allemandes, les Strelzyk et les Wetzel, en septembre 1979 – en montgolfière.
Après une première adaptation filmique par l’entreprise américaine Disney en 1982 sous le titre Night Crossing, l’événement devenu historique avait donc enfin été filmé par un réalisateur populaire de son propre pays. Peut-être pas celui qu’on aurait imaginé pour traiter un thème si sérieux – après la parodie de western Qui peut sauver le Far West? (2001), Michael « Bully » Herbig a plus ou moins atteint le statut du déconneur le plus doué de la nation –, mais quand même un réalisateur qui, penserait-on, sait davantage de quoi il parle qu’un cinéaste américain.
Réussite – comme le suggèrent les milliers d’entrées en salles, attirées sûrement, si ce n’est pas par son sujet, par la popularité du producteur et de ses acteurs comme Friedrich Mücke, Karoline Schuch et David Kross – ou échec d’un « Allemand de l’Ouest ignorant » ayant servi de manière beaucoup trop pathétique tous les clichés possibles autour de « l’Est », comme le formule le critique Moritz von Uslar dans le journal allemand Die Zeit du 19 septembre 2018?
Pour moi, la combinaison des termes « montgolfière » et « RDA » n’a éveillé aucun lieu de mémoire et je dois aussi vous avouer que le film, quand il est passé chez nous (en Autriche) au cinéma et même à la télé, est également complètement passé à côté de moi. Ma première pensée en regardant le générique du film était plutôt : Encore un autre, vraiment?
D’abord un petit flash-info (fait par une non-historienne apolitique) : pendant la Guerre froide, les pays communistes de l’Est ont été séparés par ceux libéraux de l’Ouest par le rideau de fer dont une partie passait à travers la ville de Berlin. De 1961 jusqu’à sa chute en 1988, la République démocratique allemande (RDA) était au pouvoir en Allemagne de l’Est et se faisait surtout sentir par la présence d’une Sécurité d’État (« Stasi ») rigoureuse qui espionnait et traquait toute personne affichant la moindre critique envers le régime communiste. Des milliers de personnes désireuses de liberté, économique et personnelle, qui ont essayé de passer à travers les clôtures barbelées furent emprisonnées, torturées ou même tuées. Vu la surveillance rigoureuse de la voie terrienne, l’esquive en zone aérienne – comme l’ont fait les familles Strelzyk et Wetzel – était effectivement logique.
Plein de clichés et trop de pathos? Certes, la RDA est clairement montrée comme un régime meurtrier n’ayant pas hésité à massacrer ses propres gens. Mais il reste que Le vent de la liberté est le film le plus passionnant que j’ai regardé depuis une éternité. Très vite, on s’identifie aux deux familles au point d’avoir peur avec eux à chaque claquement de porte, d’espérer que Günter Wetzel arrive à coudre à temps les 1000 m de tissu pour finir la deuxième montgolfière et que l’institutrice à l’école maternelle ne les trahisse pas… Du suspense de la première seconde à la dernière. Et là ce n’est pas une formule.
Ce qui renforce le suspense, hormis le drame en tant que tel, est la réalisation technique, notamment le montage, la musique et le recours à des métaphores expressives. Le générique montre la richesse du montage : lors de la « Jugendweihe », les enfants de 14 ans prêtent serment d’allégeance au régime et reconnaissent leurs devoirs en tant que citoyen de la RDA :
« Society will demand more from you now. Just as you have always been able to count on us, now, we will be counting on you. […] It means you’re now responsible for your own actions. And rest assured: we’ll never lose sight of you. »
[ La société demandera plus de vous maintenant. Tout comme vous avez toujours pu compter sur nous, c’est alors nous qui compterons sur vous. […] Ceci veut dire que vous serez désormais responsables de vos propres actes. Et soyez assurés : on ne vous quittera pas des yeux. ]
La menace qui n’y est même pas cachée est soulignée à ce moment-là par un bruit rythmé et sombre – des soldats qui marchent, des tirs au loin? – présent lorsque le titre, sur fond noir, apparaît. La peur et le sentiment d’emprisonnement qu’il évoque sont ensuite contrebalancés par la présence des ballons gonflés à l’occasion de la fête. Les ballons – petits ou grands – deviennent rapidement des symboles du désir de la liberté, un désir qui en temps de surveillance totale ne doit jamais être prononcé ouvertement. À cet égard, retenons l’ironie légère établie lorsque les villageois conformes sont filmés en faisant du cerf-volant, tandis que les deux familles ne se contentent pas de cette fausse liberté et construisent leur montgolfière en cachette.
Pas de problème pour Le vent de la liberté de gagner son public allemand. Mais saura-t-il également gagner l’Extrême-Ouest, le Canada? Le potentiel est là : un sujet inouï, des acteurs convaincants, un réalisateur aux aspirations hollywoodiennes – et plein de suspense. Et la différenciation historique, on la laisse aux académiciens…
Note: 7,5/10
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