« Avez-vous déjà été à Berlin, M. Morrissey? »
Drogue, vampirisme, crises existentielles et mélodie d’une autre époque marquent les vies de certains personnages : un sex-symbol du cinéma underground, deux amants maudits, un homme cherchant son salut, une actrice sans succès et un Japonais avec une mystérieuse maladie. Cinq histoires, sans liens en apparence, qui sont unies par une mystérieuse relation : Paul Morrissey, collaborateur du Andy Warhol’s Factory.
Letters to Paul Morrissey est une œuvre expérimentale unique. En réalisant ce film, Armand Rovira réussit un tour de force tant au niveau esthétique que logistique. Je suis certain que vous n’avez jamais vu ça!
Paul Morrissey est un cinéaste américain qui a décidé de se retirer à la fin des années 80 parce que les courants esthétiques du cinéma contemporain le décevaient…
C’est lorsqu’il fait la rencontre d’Andy Warhol, en 1965, que sa carrière prend réellement son envol. Déjà initié au court métrage indépendant, il intègre La Factory et réalise, avec son mentor, Chelsea Girls, un film qui valorise le groupe le plus représentatif du glam rock : « The Velvet Underground ». Scénarisant ses films, il signe, après le western queer Lonesome Cowboys, une œuvre d’avant-garde dans l’esprit du pop art et de l’underground. Devenue culte chez les yuppies et la génération de Woodstock, Flesh (1968) révèle Joe Dallesandro, un jeune premier inconnu dans le rôle d’un gigolo new-yorkais. Ce dernier réapparait dans Trash (1970) et Heat (1972), où il interprète respectivement un toxicomane et un jeune aspirant à la célébrité prêt à tout pour réussir. Avec ces trois films, Morrissey a élaboré l’unique trilogie underground de l’histoire du cinéma.
Pendant les années 1970, après deux autres collaborations sur des films d’horreur – Chair pour Frankenstein et Blood for Dracula (1974) – le cinéaste se distancie de La Factory et devient complètement autonome. Avec New-York, 42e Rue, il met en scène, en 1981, un Kevin Bacon débutant dans le rôle d’un prostitué, et réalise, deux ans plus tard Mixed Blood (1984). Pour Le Neveu de Beethoven (1985), de facture plus classique, il réunit Wolfgang Reichmann, Jane Birkin et Nathalie Baye, mais le montage final imposé par les producteurs n’est pas conforme à la vision du cinéaste. Morrissey l’a récemment remonté.
La foi, la dépendance, le temps qui passe, la séparation et la douleur. Voilà les cinq lettres meurtries adressées au cinéaste Paul Morrissey. Cinq personnages, provenant de différentes régions du monde, tous aux prises avec leurs anxiétés et leurs peurs, se confient et partagent leur intimité avec le maître du cinéma expérimental. Udo sur son chemin de l’obsession, Joe d’Alessandro sur son expérience avec les drogues, la « Chelsea Girl » Olena sur l’image de soi, des amants sur leur impossible rupture (segment réalisé par Saida Benzal), et Hiroko Tanaka sur un bruit torturant que seule elle peut entendre.
Voici le point de départ de cet étrange film. Chaque séquence est narrée par le personnage principal et enrichie d’images évoquant le cinéma direct.
Mais, au-delà de cette façon spéciale de raconter une (des) histoire, il y a l’esthétique particulière choisie par Rovira. Filmé dans un format qui ressemble à une case d’une pellicule photo (un rectangle avec les coins arrondis), Letters to Paul Morrissey fait varier, au fil du film, la grosseur du rectangle et le nombre des cases… En effet, à l’occasion, deux cases sont présentées côte à côte afin de montrer deux points de vues d’une même scène. Pour compléter ce style ô combien réfléchi, l’image est en noir et blanc, avec un grain très présent. On voit même les égratignures typiques de la vieille pellicule photo. L’impression est parfaite. On pourrait facilement croire que cette pellicule date de la même époque que l’homme à qui l’on rend hommage.
L’icône du cinéma underground entre ici en collision avec Armand Rovira, monteur et réalisateur espagnol. Il traite ici de cinq problèmes existentiels avec une grande finesse.
La question n’est pas de savoir si Letters to Paul Morrissey est un grand film, mais plutôt de savoir s’il sera reçu parmi la liste des films cultes. Je crois sincèrement qu’on peut l’ajouter à côté des A clockwork orange, Jaws ou Taxi driver de ce monde.
Note : 8.5/10
Letters to Paul Morrissey est présenté au festival Fantasia les 16 et 26 juillet 2019.
Visionnez la bande-annonce :
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