« Volksbedarf statt Luxusbedarf »
[Les besoins du peuple plutôt que les besoins de luxe]
Bauhaus Spirit des réalisateurs allemands Niels Bolbrinker et Thomas Tielsch nous présente l’un des mouvements artistiques les plus importants pour l’évolution de l’architecture moderne : le Bauhaus. À prononcer ce mot devant un locuteur germanophone, il est fort probable que ce dernier – à moins d’avoir bénéficié d’une instruction académique supérieure ou d’avoir un hobby personnel spécifique – pensera tout de suite au magasin de bricolage portant le même nom, ceci étant composé de deux mots : « bauen » (construire) et « Haus » (maison).
Le Bauhaus a beau être un style révolutionnaire, au fond, ce sont ces deux mots qui définissent au mieux son objectif, à savoir de construire des édifices efficaces et pratiques en espace urbain ou métropolitain qui offrent des logements abordables et disponibles à un maximum d’habitants. Le Bauhaus est-il donc à l’origine des tours et des barres dans les banlieues des grandes villes? Pas tout à fait…
Fondé en 1919 par Walter Gropius en tant que nouvelle école d’art dans la ville allemande Weimar, le Bauhaus a répondu à l’un des grands défis du 20e siècle : comment héberger un maximum de personnes de manière abordable et efficace dans les villes qui ne cessent de s’agrandir? Plus fondamentale encore était, après le désastre de la Grande Guerre, l’idée utopiste de recréer le monde, en partant de l’architecture, d’une architecture qui devait rendre compte d’une conception changée de l’homme.
L’une des prémisses centrales du Bauhaus est sa vivacité – celle de l’édifice et celle des hommes qui y habitent.
D’une part, les maisons sont construites sur la base d’un système modulaire. Elles consistent en des éléments préfabriqués dont le nombre et l’alignement sont régis par les besoins et les ressources financières des locataires. De ce fait, on trouve de véritables manoirs gigantesques, mais aussi des micromaisons de 6 m² à 100 €.
L’objectif est de créer des logements adaptés à tous les budgets. La devise n’est pas le maniérisme, mais d’atteindre un maximum de fonctionnalités avec un minimum de matériaux.
D’autre part, l’homme est pensé comme un être actif, social et créateur. Les maisons devraient donc refléter cette conception de l’homme. Dans Bauhaus Spirit, l’un des enseignants du Bauhaus contemporains explique cette idée : « Es ging darum, zu spüren, wie verläuft eine Linie […]. Was macht das mit dem Körper? Wie verhält sich der Körper zu dem, was eine Geometrie ist? Ich kann ja damit interagieren. Wie entsteht Raum durch die Bewegung? » [Il était question de sentir la ligne […]. Qu’est-ce que cela fait avec le corps? Quel est le rapport du corps à la géométrie? Je suis en mesure de bien interagir avec l’espace. Comment l’espace se crée-t-il par le mouvement?]
Par exemple, dans une cuisine du style Bauhaus, les portes des armoires ne s’ouvrent pas à l’avant – ce qui restreindrait notre liberté d’action –. On opte plutôt pour des portes coulissantes, ce qui établit une harmonie entre la maison et l’homme. À un niveau avancé, l’interaction entre ces deux éléments peut même se manifester dans des performances où les artistes portent des formes géométriques. Ceci peut sembler bizarre au premier abord, mais en fournissant les applications concrètes des concepts théoriques du Bauhaus, Niels Bolbrinker et Thomas Tielsch arrivent à nous faire comprendre le lien entre l’architecture et ces spectacles.
Vous verrez, les maisons du Bauhaus ont beau avoir l’air discrètes et conservatrices, au fond, il s’agit d’un style fort innovateur partant du principe de l’interdisciplinarité et du travail en équipe. Non seulement les architectes sont considérés comme des artisans expérimentaux plutôt que des robots de l’industrie, mais il en va de même de leurs clients.
À cet égard, Bauhaus Spirit montre l’exemple des bidonvilles latino-américains, « places of innovation, not only of misery » [des espaces d’innovation, pas seulement de misère], comme l’estime l’un des architectes de Urban-Think Tank, où l’on aménage des terrains de sport facilement modulables (« Vertical Gyms ») constituant des sites de rencontre importants pour la communauté sur place. Le fait que les habitants défavorisés ont commencé à adapter ces espaces pour leurs propres besoins – la salle de boxe se transformant ainsi en école maternelle – montre leur agentivité, mais aussi le bon fonctionnement de « l’esprit » Bauhaus contemporain.
Bauhaus Spirit est un documentaire fort informatif qui ne se contente pas de relater l’histoire du Bauhaus, mais qui montre en quoi son esprit continue encore aujourd’hui d’influencer des architectes désireux de rendre le monde un peu plus solidaire. Ce sont particulièrement les entretiens avec d’anciens étudiants du Bauhaus et avec les jeunes créateurs qui rendent le film si passionnant.
Par contre, compte tenu de la simultanéité temporelle et la similitude de leurs approches, j’aurais apprécié une remarque sur les liens entre le Bauhaus et le Dada. En plus, j’ai trouvé dommage que l’esprit innovateur de son thème central n’ait trouvé aucun écho dans sa réalisation esthétique qui, elle, reste toujours sobre.
Tout de même, Bauhaus Spirit reste un régal pour tout amateur d’art… et aidera à faire augmenter le nombre de Germanophones qui, par « Bauhaus », n’entendent pas seulement un magasin de bricolage.
Note : 7.5/10
Visionnez la bande-annonce :
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