Le film d’Alexandria Bombach, On Her Shoulders, nous bouleverse, nous émeut, nous indigne et nous fait pleurer. Et soulève des questions qui restent sans réponse.
La jeune Nadia Murad porte sur ses épaules les espoirs de tout un peuple, les Yézidis, une minorité religieuse du Kurdistan irakien qui varie entre 100 000 et 600 000 personnes, selon les estimations. Leur religion tient à la fois de l’islam et du christianisme. Et l’État islamique s’est juré de les faire tous disparaître.
De leur histoire, de leur culture, on n’apprend presque rien dans le film. Sinon que Nadia est l’une des victimes d’une rafle menée par l’EI dans son village de Kocho en août 2014. Des centaines de personnes ont été tuées, des dizaines de milliers se sont réfugiées dans les montagnes dans des conditions atroces et bien d’autres encore ont été faites prisonnières et soumises entre autres à l’esclavage sexuel. Parmi elles, la jeune Nadia alors âgée de 19 ans. Elle a réussi à s’enfuir et elle est devenue bien malgré elle la voix des Yézidis. En 2018, elle a été corécipiendaire du Prix Nobel de la Paix. Des milliers d’autres sont toujours portées disparues.
La réalisatrice a choisi de raconter l’histoire de Nadia après sa fuite des geôles de ces barbus fanatiques. De sa capture, de ses conditions de détention, des circonstances de son évasion, on n’apprend rien ou presque.
En revanche, on découvre jour après jour, semaine après semaine, mois après mois et année après année l’immensité du poids qui pèse sur ses épaules, elle qui a été parachutée sans le chercher « porte-parole » de la cause des Yézidis. Dans toute sa fragilité – elle a perdu sa mère et 6 frères –, sa candeur, sa jeunesse et son ignorance de la Realpolitik de notre monde. Face aux journalistes trop souvent plus intéressés à savoir ce qui lui est arrivée aux mains des combattants de l’État islamique qu’à connaître les conditions de vie des Yézidis, leur lutte, leur avenir incertain.
On suit Nadia des antichambres de l’ONU, au comité parlementaire de l’immigration du Parlement canadien, lors d’entrevues radiophoniques, de reportage télévisé, sur les lieux de la commémoration de l’attaque d’août 2014 avec des réfugiés yézidis en Allemagne, dans des camps de réfugiés en Grèce, etc. Un rythme infernal sous la protection de son ange gardien, ami, confident et directeur de l’ONG Yazda, Murad Ismael.
Dans le film, Nadia rappelle que ce n’est pas son histoire qui est importante, mais celle de son peuple persécuté. Elle voulait vivre une vie normale dans son village, rêvant d’ouvrir un salon de coiffure, de faire du sport. Son destin est tout autre. Elle porte une célébrité qu’elle n’a pas cherchée et qui la rend plutôt mal à l’aise. Elle s’indigne du temps et des efforts qu’il faut pour sensibiliser le monde au sort cruel des siens, aux années qu’il faudra pour rebâtir un pays. Et cela sous la menace de l’État islamique qui s’est juré d’avoir sa peau.
Certaines très rares scènes de On Her Shoulders font sourire quand elle s’accorde le droit d’être une jeune femme « comme les autres » en train de magasiner des vêtements ou de cuisiner. D’autres font réfléchir, comme ce moment devant un spectacle des membres des Forces armées canadiennes devant le Parlement d’Ottawa où elle constate que, chez elle, les soldats auraient été attaqués ou qu’un kamikaze se serait fait sauter pour en tuer le plus grand nombre possible.
Mais le plus souvent, des scènes du film nous tirent des larmes, particulièrement lorsqu’elles rencontrent des réfugiés qui veulent rentrer chez eux. Mais leurs terres ont été dévastées, les immeubles détruits.
Même si elle affirme qu’elle n’était pas destinée à prendre la parole devant des politiciens, des journalistes ou des diplomates, Nadia Murad ne se laisse pas dicter les mots qu’elle doit prononcer pour convaincre. Sa détermination mais aussi son immense tristesse sont bouleversantes.
Note : 8.5/10
On Her Shoulders est présenté aux RIDM les 9 et 17 novembre 2018.
Visionnez la bande-annonce:
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