« Cher journal, S. est mort. Il s’est enlevé la vie le 31 mars 1999. »
Vers la fin des années 1990, la communauté acadienne de Moncton est marquée à jamais lorsque la mort frappe une école secondaire. Dans un film impressionniste tout en douceur, Samara retourne dans la ville qu’elle a fuie alors qu’elle était adolescente pour se replonger dans les souvenirs qui y sont toujours enfouis, en différents lieux ainsi que dans les boîtes poussiéreuses renfermant des journaux intimes, des photos et des cassettes VHS.
1999, de Samara Grace Chadwick, n’est pas une histoire de fantômes, bien qu’elle soit peuplée de spectres. Les rues enneigées, les corridors et les vestiaires de l’école sont intacts, comme dans un rêve, mais l’absence laissée par la vague de suicides d’adolescents résonne encore de questions sans réponses, de traumatismes et de regrets. Samara rencontre des gens inspirants qui portent en eux une grande douleur et qui, 16 ans plus tard, peuvent enfin se conforter mutuellement en brisant un long silence.
1999 ne propose pas de réponse. Ce n’est pas l’objectif. La réalisatrice propose plutôt un genre de retour aux sources. Ce ne sont ni les reportages des médias ni les témoignages des spécialistes qui nous éclairent sur la question, mais plutôt les souvenirs des jeunes de l’époque : journaux intimes, photographies, lettres manuscrites. La réalité de ceux et celles qui ont choisi de vivre.
En procédant ainsi, la réalisatrice – qui n’était pas retournée en Acadie depuis 1999 – offre un film très intime et un exutoire à ceux qui y étaient. Ce choix de récit, par contre, fait en sorte que quelqu’un qui ne connait pas les faits est un peu dans le néant au niveau de ce qui s’est passé. Combien? Comment? Pendant combien de temps? En contrepartie, ça nous donne un film très humain, très touchant. Comme lorsque Mathieu explique que c’est en voyant la mère de son ami décédé, suivant le cercueil en pleurant comme ça ne se peut pas, qu’il a compris ce que pouvait signifier « l’amour d’une mère pour son fils ».
Stylistiquement parlant, 1999 se situe dans une classe à part. Rarement j’ai eu l’occasion – encore moins en documentaire – de voir ce genre de montage. Par moments, Chadwick superpose des images et des couleurs rendant le plan d’origine (par exemple, un visage) presque indiscernable. À d’autres moments, on voit les intervenants parler, avec des images projetées en arrière-plan. Et ce qui revient souvent et qui me dérangeait au début (mais que j’ai fini par trouver vraiment intéressant), ce sont les intervenants, filmés à travers un cristal ou un quartz (je ne suis pas expert). Ça donne un jeu de couleurs très poétique, très sensoriel.
On ajoute à ça une musique peu présente, mais touchante. Musique composée par Gabriel Malenfant de Radio Radio et Vivianne Roy des Hay Babies.
J’aurais aimé qu’il y ait plus de faits énumérés dans ce documentaire. Juste des informations à la fin, avant de lancer le générique. En 1999, il y aurait eu 4 ou 5 suicides qu’on nous dit. Il y aurait eu 3 vagues de ce genre en 12 ans à la polyvalente Mathieu-Martin souvent qualifiée de « polyvalente du suicide ».
Tourné entièrement en Acadie et presque entièrement en chiac, 1999 touche à des sujets universels : l’adolescence, le souvenir, le deuil, les responsabilités. La réalisatrice le fait avec douceur et avec un désir de pouvoir passer à autre chose. Peut-être se fait-elle le même reproche qu’une de ses intervenantes lui fait : celui de s’être poussée, du jour au lendemain, sans jamais revenir. Jusqu’à maintenant…
Au final, 1999 entremêle différentes voix et suscite une réflexion collective sur l’intériorisation du deuil et sur la nécessité d’apprendre à affirmer son désir de survivre.
Note : 7.5/10
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