« Vous êtes maintenant des ennemis de l’état. »
Allemagne de l’Est, 1956. Kurt, Theo et Lena ont 18 ans et s’apprêtent à passer le bac. Avec leurs camarades, ils décident de faire une minute de silence en classe, en hommage aux révolutionnaires hongrois durement réprimés par l’armée soviétique. Mais cette minute de silence devient une affaire d’État et fera basculer leurs vies. Face à un gouvernement est-allemand déterminé à identifier et punir les responsables, les 19 élèves de Stalinstadt devront affronter toutes les menaces et rester solidaires.
Sélection officielle du festival de Berlin 2018, La révolution silencieuse (Das Schweigende Klasszimmer), de Lars Kraume, est adapté du roman autobiographique Das Schweigende Klasszimmer (La classe silencieuse, 2006), écrit par Dietrich Garstka, l’un des élèves concernés qui a retracé ces évènements. Lars Kraume signe avec une rigueur historique le portrait du régime totalitaire en place en Allemagne de l’Est après le IIIe Reich, à travers le regard d’une jeunesse épris de liberté.
Le 22 octobre 1956, des étudiants de l’Université polytechnique de Budapest rédigent une lettre où ils réclament la liberté de la presse, la liberté d’expression, l’indépendance nationale, des élections libres et le retrait des troupes russes. Le lendemain, à l’occasion de manifestations pacifiques, les forces gouvernementales ouvrent le feu sur les insurgés, ce qui suscite une indignation et la naissance d’autres mouvements de protestation à travers le pays. Le 1er novembre 1956, à l’issue d’une longue série de manifestations, le premier ministre hongrois, le réformiste Imre Nagy, décrète la neutralité de son pays et son retrait du Pacte de Varsovie. La déclaration d’indépendance est impitoyablement matée par les troupes soviétiques à partir du 4 novembre. 2500 Hongrois sont tués, environ 200 000 s’exilent. Les insurgés qui ne peuvent ou ne veulent s’exiler sont arrêtés. Les exécutions et autres simulacres de procès sont nombreux. L’insurrection populaire est dénoncée comme un mouvement « contre-révolutionnaire » dans les pays satellites de l’Union Soviétique. À l’Ouest, on parle de « combat pour la liberté ».
Malgré l’interdiction qui leur est faite, les jeunes étudiants écoutent secrètement la radio ouest-allemande RIAS et découvrent, le 24 octobre 1956, que leur idole, le joueur de l’équipe nationale hongroise de football Ferenc Puskás, aurait été tuée lors des manifestations de Budapest. Cinq jours plus tard, dans leur cours d’histoire, ils décident spontanément d’observer une minute de silence afin de rendre hommage à leur héros et aux révolutionnaires hongrois. Cela ne va pas sans irriter leur professeur, qui rapporte l’incident au proviseur. Ce dernier entend minimiser l’incident, arguant que ce n’était là que des garçons exaltés voulant se faire remarquer, mais des membres du Parti ont vent de l’affaire via une partie du corps enseignant. Lorsque le ministre est-allemand de l’éducation populaire Fritz Lange s’intéresse à l’affaire et menace d’exclure les enfants s’ils ne dénoncent pas les meneurs, les jeunes demeurent inflexibles.
Un des points forts du film est de ne pas démoniser l’une ou l’autre des Allemagnes de l’époque. On y voit que l’Est comme l’Ouest ont utilisé l’insurrection hongroise à titre de propagande en lançant des faussetés et de fausses vérités.
Évidemment, en tant qu’Occidentaux, nous aurons tendance à croire que l’Allemagne de l’Ouest représente les gentils, alors que l’Est représente les méchants. Mais, tout au long du film, on est porté à se questionner et à être incertain à cet égard. Il aurait pourtant été si facile pour le réalisateur et scénariste de nous offrir un film qui prend position contre l’Allemagne de l’Est. Mais il réussit magistralement à éviter les pièges.
Du coup, on hésite longuement à mettre aux parents de ces jeunes l’étiquette des méchants. Surtout qu’on se retrouve nous-mêmes pris dans la propagande à se demander qui de la radio de l’Ouest ou du journal de l’Est dit vrai.
Les personnages du film sont en partie façonnés par leur incapacité à faire face à leur propre histoire. Tout le monde semble avoir des squelettes dans le placard. Les jeunes, eux, sont… des jeunes. Ils ont soif de liberté, de connaissances et de vérité. Mais comme les jeunes d’aujourd’hui, ces quêtes les mènent à des actes qui dépassent leur compréhension. En décidant de faire une minute de silence, les finissants ont, sans vraiment le vouloir, pris position dans un enjeu politique très chaud.
Et rapidement, les enjeux dépassent ce que les étudiants, mais aussi le corps enseignant auraient pu imaginer. Évidemment, le climat de guerre froide y est pour quelque chose. De nos jours, en Allemagne, ce genre de comportement causerait possiblement quelques réactions et possiblement quelques répercussions, mais jamais des étudiants ne seraient menacés après une minute de silence à caractère politique.
C’est intéressant de voir ce qui ressort de La révolution silencieuse. Malgré la distance temporelle, le film garde tout de même un ton très actuel.
La naïveté de la jeunesse et son désir de s’émanciper restent un sujet d’actualité. Encore aujourd’hui, ce sont les jeunes générations qui permettront de changer les choses. Je pense, entre autres, à ces jeunes Américains que l’on voit prendre la parole dans Fahrenheit 11/9 de Michael Moore. Je pense à des endroits comme le Québec qui reste coincé dans une certaine noirceur, car ses jeunes ne veulent pas prendre part au débat politique.
Oui, La révolution silencieuse se passe en 1956. Mais vous en sortirez marqué et prêt à vous questionner sur les choix politiques d’aujourd’hui. Ces choix que vous devrez incessamment faire. Car il ne faut pas l’oublier : notre société (au niveau planétaire) est en crise. Et tôt ou tard, nous devrons, nous aussi, répondre de nos actes.
Note : 8.5/10
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