« — Encore des chiens?! Pourquoi?
— J’ai encore de la place. »
Bêtes de famille met en scène une relation mère-fille névrotique inspirée à la cinéaste par l’éducation peu orthodoxe qu’elle a reçue de sa mère – la voix de la mère en français est assurée par Anne Dorval et en anglais, par Amanda Plummer –, chef de famille monoparentale, également parent d’accueil et éleveuse de chiens. Porté par une énergie débordante et rempli d’autodérision, le film rappelle que, bien qu’adultes (ou en voie de le devenir), nous avons toujours besoin de l’amour et du soutien d’un parent.
En sélection au Festival Stop Motion Montréal, le court métrage d’animation d’Alexandra Lemay est vraiment savoureux. S’inspirant de sa vie et de sa relation avec sa mère, la cinéaste nous offre un univers éclaté, dans lequel aucun répit n’est possible. Alexandra Lemay a généreusement accepté de répondre à quelques questions. Mais avant toute chose, je vous présente son court métrage et la meilleure façon de le faire, selon moi, est d’aborder son côté ludique.
La technique est ici très ludique. On sent que la cinéaste s’amuse avec ce film. À quelques reprises, l’écran est divisé en deux, montrant ainsi la fille et la mère dans leur milieu de vie respectif. La confrontation de ces deux vies opposées crée un bel effet. À un moment, la jeune femme, exaspérée, pousse cette division, rejetant sa mère et sa marmaille hors de l’écran.
Il y a également quelques changements de point de vue. On passe parfois en caméra subjective, ce qui m’a d’abord déstabilisée, je l’avoue. On regarde le monde comme si l’on était l’une des marionnettes. Nous sommes la jeune femme qui marche et qui se regarde les pieds, nous sommes la mère, qui se penche et regarde les deux jumeaux littéralement pendus à ses jambes et les chiots qui tournent autour. Un bon coup!
La cinéaste joue également avec la « texture » de ses personnages. Je m’explique : à un moment, un des bébés arrache la bouche de la mère, comme s’il s’agissait d’une breloque sur un vêtement. La voix du personnage change alors, n’ayant plus de support pour la porter. Quand la bouche reprend place, la voix redevient « naturelle ». Amusant et créatif, tout comme l’est également la scène des spaghettis sur laquelle on reviendra…
Je n’ai pu m’empêcher de sourire quand au décalage que créent les appareils technologiques (ordinateur et téléphone intelligent) dans une animation image par image, où l’inanimé animé est roi.
L’animation du générique de fin est à l’image du reste du film : loufoque.
Le Petit Septième – Bêtes de famille comporte de nombreux personnages (adultes, bébés et animaux). Cela doit représenter un défi de taille en animation image par image, notamment en termes de temps. Nos lecteurs n’étant pas tous familiers avec l’envers du décor du stop motion, dites-nous quelques mots sur les particularités de votre plateau.
Alexandra Lemay – C’était un projet incroyablement ambitieux, particulièrement pour un premier film professionnel. Cela dit, j’ai eu la chance de travailler avec une petite équipe très talentueuse et efficace! Notamment, Jako Lanterne (un studio de création visuelle), qui a construit les magnifiques décors, et Erik Goulet, qui a confectionné les armatures de marionnettes. Néanmoins, le processus de fabrication était encore très laborieux. J’ai passé plusieurs soirées à ma machine à coudre en essayant de faire des tenues de bébé de la taille de mon pouce. L’animation était encore plus folle! Luka Sanader était le directeur de la photographie du film, et pour chaque scène, on recherchait un look très particulier. En conséquence, je devais souvent me faufiler à travers son barrage de lumières et de drapeaux pour accéder à mes décors. En animation image par image, on doit faire très attention à ne rien déplacer, sauf bien sûr le personnage qu’on anime. Pour rendre les choses plus difficiles, j’animais souvent plus de six personnages à la fois. Je devais donc décortiquer mentalement les mouvements de chaque personnage et essayer de leur donner vie, tout en bougeant comme un ninja et en espérant que rien ne tomberait dans le processus. Inutile de dire que c’était un défi.
LPS – Vous puisez votre inspiration dans votre relation avec votre mère, de son besoin de s’impliquer, sur ce qui ressort du « chaos » de nos vies, chaos qui n’est pas forcément négatif. Par la texture des marionnettes, leur aspect brut, l’accumulation qui mène au chaos me semble très concrète. Croyez-vous que le stop motion permet de mieux rendre cet effet?
Alexandra Lemay – Exactement. J’ai choisi une esthétique qui soutenait les thèmes du film. Je voulais avoir des décors hyper réalistes et des personnages plutôt rudimentaires pour souligner leur nature imparfaite. C’est pourquoi j’ai voulu faire l’animation moi-même et avoir un style de marionnettes qui me permettait d’improviser des mouvements. Je ne voulais pas des personnages parfaits, je voulais des personnages ridicules, avec des défauts et, bien sûr, auxquels on peut s’identifier.
LPS – Le lancer des spaghettis dans la lentille de la caméra est vraiment superbe, mettant plus encore l’accent sur le chaos, d’autant plus que la mère les retire comme si cela allait de soi. Comment vous y êtes-vous prise?
Alexandra Lemay – Ha! Ha! Le lancer des spaghettis! En effet, c’était très spécial comme scène. D’abord, j’ai dû animer le bébé en train de lancer les pâtes et je l’ai fait en accrochant des minispaghettis avec un fil transparent que j’ai bougé image par image dans le décor miniature. Puis, dans une pièce couverte de plastique (à la Dexter), et vêtue d’un costume vert, j’ai lancé de vrais spaghettis à la caméra au ralenti. Ensuite, j’ai sélectionné quelques images pour créer une animation correspondante, puis les deux scènes ont été composées ensemble avec l’aide d’Eloi Champagne, directeur technique à l’ONF. Le même principe a été utilisé pour la mère qui essuyait les spaghettis sur la lentille. C’était vraiment amusant!
LPS – Quels sont vos projets actuels?
Alexandra Lemay – J’ai commencé à écrire un nouveau projet qui est inspiré par ma sœur. C’est une approche plus étrange et un sujet plus sombre, mais un projet tout aussi personnel. J’ai un peu peur, mais je suis aussi très excitée.
*
Je tiens à remercier Alexandra Lemay pour la générosité de ses réponses. Je ne peux que vous encourager à aller voir ce film.
Un six minutes ½ tout à fait savoureux!
Note : 9/10
Bêtes de famille est présenté au Festival Stop Motion Montréal les 15 et 16 septembre 2018.
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