Entre le 14 et le 16 septembre 2018, Montréal ouvrira de nouveau ses portes à un festival unique au monde : la 10e édition du Festival Stop Motion Montréal, technique créant l’illusion du mouvement d’objets autrement inanimés. J’ai eu le plaisir de découvrir quatre courts métrages fêtant la diversité thématique et stylistique. Leurs personnages : des hommes authentiques aux animaux. Leur style : du lyrisme classique à l’expérimental le plus moderne.
« I die now with a certainty. That I can finish my work »
Quand on pense à l’invention de l’électricité, c’est d’abord Thomas Edison qui nous vient en tête alors qu’il s’agissait en effet de tout un groupe de chercheurs pas moins brillants. Le film Tesla : lumière mondiale est consacré à l’un de ces génies oubliés : l’ingénieur américain d’origine serbe Nikola Tesla (1856-1943).
Ayant eu déjà comme petit enfant des rêves prémonitoires de cette « lumière mondiale » – du moins l’inventeur le relate ainsi dans son autobiographie –, Tesla immigre à New York et se met à travailler aux côtés d’Edison avant que des différences idéologiques fondamentales ne le poussent à continuer seul, reclus dans sa chambre. C’est le début du 20e siècle, la société new-yorkaise fortunée a hâte de s’approprier ce miracle incandescent admiré pendant divers shows publics. Edison réagit à la demande, mais ne voit que l’argent. Tesla, véritable Prométhée, est motivé par une utopie : l’accès illimité et gratuit pour tous, riches et pauvres, à ce « feu » créé PAR et POUR les hommes…
Tourné en noir et blanc avec un décor minimaliste, mais avec un fonds sonore et visuel riche, Tesla : lumière mondiale de Matthew Rankin est à la fois biopic et œuvre expérimentale, faisant allusion à Frankenstein tout comme à Dracula. Il cherche à nous faire ressentir les contrastes dans la vie de tout créateur : le génie et la manie.
Rankin expliquait : « Je suis intéressé par les utopies du 20e siècle qui ont échoué. […] L’échec de Tesla est pour moi l’un des plus beaux et des plus tragiques dans l’histoire de l’effort humain. C’était un scientifique idéaliste. Il était convaincu que ses inventions allaient sauver la planète et libérer l’espèce humaine, mais il s’est fait complètement anéantir par les puissances capitalistes de son temps. L’image de Tesla, seul et instable dans sa chambre, […] me touchait énormément. »
« Je cherche réponse à une question : pourquoi le hérisson aime-t-il autant sa maison? »
Si Tesla : lumière mondiale exigera de vous un peu de recherche supplémentaire afin de comprendre son concept et son message, La maison du hérisson d’Eva Cvijanović, issue de l’ex-Yougoslavie, vous aura séduit sur le coup, c’est décidé. Inspiré d’un conte populaire pour enfants de Branko Ćopić, La maison du hérisson nous présente l’une de ces fables où des valeurs universelles sont transportées à travers une histoire située dans le monde des animaux.
Le hérisson partage la forêt avec les autres bêtes. Il y vit heureux et entretient une amitié étroite avec Madame Renard qui se demande pourtant pourquoi Monsieur ne veut jamais rester chez elle pour la nuit. Irritée, elle décide un jour de le suivre en cachette pour découvrir enfin son secret : « Je cherche réponse à une question : pourquoi le hérisson aime-t-il autant sa maison? ». Intriguées par la recherche nocturne du renard, les autres bêtes l’accompagnent. Quand elles découvrent le hérisson caressant tendrement son lit de feuilles, elles éclatent de rire… C’est à ce moment-là que la musique de fond douceâtre change et prend des airs de western. Comme un Sitting Bull réincarné, le hérisson sort, dresse ses épines et s’écrie furieux : « Certes, elle est modeste. Mais elle est à moi. C’est ma liberté! »
Ce n’est qu’en adulte, arrivée au Canada, que la réalisatrice a su saisir toute la profondeur de ce conte pour enfants : « Je pense qu’un chez-soi est essentiellement quelque chose que l’on crée – une action davantage qu’un lieu – et qui repose sur les sentiments d’appartenance et de sécurité que l’on cultive. »
Ayant placé La maison du hérisson, comme tous les contes, dans un monde sans ancrage temporel ni local, et lisant l’histoire sur un ton classique – passé simple, rimes –, Eva Cvijanović arrive tout de même avec facilité à gagner son public.
Qui, au fond, n’est pas à la recherche d’un tel havre de paix? D’autant plus s’il paraît si douillet que celui du hérisson, douillet grâce au travail minutieux sur le feutre aiguilleté.
À voir absolument!
« On peut diminuer la dose de poudre? Je vole beaucoup trop long. »
« Moins de poudre, ça fait minable. »
Dans La femme canon d’Albertine Zullo et de David Toutevoix, on est très loin du monde idéalisé de La maison du hérisson. Madeleine et son mari sont des saltimbanques. De village en village, ils présentent leur fameux numéro de femme canon, lui expérimentant avec toujours plus de poudre, elle devenant de plus en plus anxieuse dans l’air.
Pas du tout « canon » n’est par contre leur vie privée. Dans la même mesure où le saut à l’air ne connaît qu’une seule direction, Madeleine voit ses ailes coupées à la maison où la vie est rythmée par la dictature de l’horloge. Son mari, considérant sa femme plus comme un objet d’art qu’un être à qui parler, lit le journal toujours à la même heure, toujours la même rubrique (oui, c’est le sport). Pour le dîner, toujours des spaghettis pomodoro. Mais un jour Madeleine en a assez. Elle met les voiles… et part pour une nouvelle aventure. Saltimbanque, elle le sera aussi, mais elle aura changé le ciel pour la terre, le parachute pour… la barbe.
Qu’est-ce qu’est aimer? Comment maintenir l’amour au fil du temps, la passion pour son travail autant que pour ses proches? Tel est le questionnement universel dégagé par le film, d’après ses producteurs. Certes, mais sous un angle féministe, La femme canon intrigue. Les deux femmes que l’on y rencontre sont réduites à leurs corps. Svelte et mince, ses jambes interminables bien mises en scène dans des shorts ultracourts, Madeleine est un idéaltype de femme normée tout comme sa successeure, une ancienne danseuse burlesque à la poitrine ferme et abondante. Si le travail des femmes, souriantes et muettes, consiste donc à être un spectacle pour le public, celui de leurs hommes consiste à les présenter, à les gérer. Ça aussi, c’est encore un message universel?
« Le vrai courage, c’est d’agir malgré sa peur »
Si l’amour est devenu une routine profane dans La femme canon, il se trouve encore tout candide, tout sacral dans Nadine de Patrick Péris. Sam est à la bibliothèque et la plus belle fille du monde s’assied juste en face de lui. DE LUI!
C’est le coup de foudre, bien sûr.
Sam est sidéré, incapable de lui adresser la parole, de bouger. Cependant, la rencontre inattendue déclenche un combat féroce à l’intérieur de l’adolescent, un combat contre son angoisse. C’est là que Patrick Péris change habilement ses prises réelles pour l’animation. Comme un samouraï dans un jeu vidéo, Sam se voit lutter contre les rangées de livres apparaissant du néant et se dressant entre lui et sa bien-aimée.
Là aussi on est dans l’imaginaire classique : une fille, il faut la conquérir. Mais on n’est pas tout à fait dans Le roman de la rose puisque c’est à l’ère numérique que la querelle a lieu. Et à l’ère des followers, vous le savez, le cybermonde suit et commente chacun de nos (faux) pas…
STOP ET MOTION
Nikola Tesla arrivera-t-il à terminer son projet de vie à temps?
Madame Renard saura-t-elle apprécier la modestie de Monsieur Hérisson?
Madeleine aura-t-elle enfin trouvé son bonheur ailleurs?
Et Sam et Nadine finiront-ils par devenir Sadine?
Vous savez ce qu’il faut faire : mettez-vous en motion pour le festival, regardez ces films, mais n’oubliez pas de stopper par moments. Pour savourer et pour réfléchir.
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